Contre-sens sur la morale

Les gens qui tiennent La Fontaine pour un moraliste commettent une grave erreur. Il n’y a pas de morale dans les Fables. Juste des constats : voici la nature en général, et la nature humaine en particulier, et voici comment elles fonctionnent. Il n’énonce pas des règles de bonne conduite : il dit comment nous nous comportons. « La raison du plus fort est toujours la meilleure » ou « Selon que vous serez puissant ou misérable / Les jugements de cour vous feront blanc ou noir » : où est la morale là-dedans ? Le Bien et le Mal ne sont pas le souci de La Fontaine. Il n’écrit pas pour édifier le peuple ni pour éduquer les enfants. Il décrit les animaux que nous sommes, désigne nos tendances et nos travers, s’en attriste quelquefois, s’en amuse souvent.

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Pourtant, depuis Chamfort, et jusqu’au XXè siècle, le contre-sens perdure, source de nombreux malentendus. On a fréquemment blâmé ses supposées morales, et on lui a par exemple vivement reproché le « Quiconque est loup agisse en loup » dont je parlais hier, comme s’il dispensait des conseils aux “méchants” et les encourageait dans leur vice. Pauvre La Fontaine, soupçonné de subvertir les consciences pour avoir constaté qu’on est généralement plus efficace lorsqu’on agit en suivant sa nature ! Les moralisateurs, au fond, sont gens détestables, qui demandent que l’on peigne le monde tel qu’à leurs yeux il devrait être, et tiennent pour infâme de le peindre tel qu’il est.

(Petite pensée, en passant, pour Guy Béart, qui en avait fait une chanson : Le poète a dit la vérité / Il doit être exécuté).

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