Tahar Bekri, l’auteur de Senghor à Bel Air, vient de publier un admirable recueil de cinquante deux courts poèmes, intitulé « Au souvenir de Yunus Emre », du nom d’un sage soufi turc du XIIIè siècle qui fut un très grand poète de l’amour.
Tahar a voyagé, jusqu’en Anatolie, sur les traces de ce grand ancien, mû par l’inquiétude puis le désarroi qu’il a ressentis après la « révolution de jasmin ». Assistant, désemparé, au repli de l’espérance et à la montée de la violence dans son pays la Tunisie, il a médité avec sa plume poétique sur ce monde musulman, qui au Moyen-Age exaltait la paix et la tolérance, et qui aujourd’hui détruit mausolées et marabouts. (Et c’est un fait éclatant qu’entre 1100 et 1400, l’Islam a produit de merveilleuses figures, comme Ibn Arabi, dont j’ai beaucoup parlé sur ce blog, ou Rumi, ou Yunus Emre, et a connu un âge d’or de sagesse et d’amour).
Ce livre est issu de ce voyage et de cette interrogation. J’aime son côté dépouillé, minimaliste, universel, si proche des haïkus zen. Lorsque Tahar parle de son travail de poète, il dit: « il faut de la chance dans le travail d’écriture; parfois des hasards heureux nous rendent la pensée lisible ». Or tout est lisible ici, simple, dense, lumineux, immémorial.
Je fais mien presque tout de ce que disent ces textes. Je vous offre celui-ci :
« Quand tu rencontres un étranger / embrasse la poussière sur sa tunique / Elle est chargée des sept merveilles : / console sa fébrilité de les avoir quittées / Ne le dépouille pas de ses vêtements / il les porte au fond de lui-même / Regarde son visage longuement / cherche ce qui illumine ses rides »
Je retiens aussi: « Mosquée ou église / Les sermons du prêcheur / Ont besoin d’oreilles alertes »
Et encore: « Sois rouge-gorge ou merle / Qui brave les haies avec son chant »
Braver les haies et les barrières avec son chant. Voilà une jolie mission assignée au chanteur.
Au souvenir de Yunus Emre, de Tahar Bekri, Editions Elyzad, Tunis. Disponible sur fnac.com ou amazon.fr. L’éditeur aussi a fait un très joli travail: élégance de l’ouvrage, du format, de la couverture, et beauté de l’édition bilingue synoptique.
Et la méfiance de ce poète pour “le printemps arabe” en Tunisie ne risque pas de diminuer avec l’assassinat aujourd’hui d’un des leaders de l’opposition…