A la française

Lorsque je suis arrivé aux Pays-Bas, j’ai découvert assez vite qu’il existait en néerlandais une expression pour dire que certaines choses étaient faites “met de franse slag”, c’est-à-dire littéralement “à la française“. Moi qui étais dans ce pays pour y créer la filiale du groupe pour lequel je travaillais à l’époque, je voyais bien qu’elle ne disait rien de flatteur. Mes collaborateurs étaient réticents à me la traduire. Pour finir, j’ai compris qu’elle signifiait “à la légère”, voire “par-dessous la jambe”, et c’est à ce moment-là que j’ai pris conscience de cette vérité (qui est vraie presque partout en dehors de l’hexagone), qu’être français, derrière un vernis écaillé de culture et de droits de l’homme, c’est surtout avoir mauvaise réputation.

Cette réputation est un composé d’arrogance, de prétention, et de désinvolture. Aux Pays-Bas, c’est surtout ce dernier aspect qui est jugé insupportable. Les Hollandais se battent depuis des siècles contre la mer pour se créer un pays à coup de digues et de polders. Ils voient la France comme un pays de cocagne, où les habitants n’ont qu’à s’installer sous les arbres pour que les fruits leur tombent dans la bouche. C’est presque un fond d’irritation jalouse qui s’exprime (renforcé par la mentalité calviniste, qui loue l’effort et se défie du plaisir).

Jardin-a-la-francaise.jpg

En français, l’expression a un sens évidemment différent. Les jardins à la française impliquent un tel travail sur le paysage et les végétaux qu’on ne peut pas dire que ce soient ni la facilité, ni le laisser-aller qui les caractérisent. Pourtant, on peut encore y trouver la trace d’un raffinement qui confine à la frivolité. Il y a par essence quelque chose de superflu dans cette attention aux formes et aux perspectives qui n’a pas d’autre fondement qu’esthétique (rien en tout cas qui relève d’une nécessité pratique ou économique). C’est une illustration du sérieux avec lequel nous savons être légers.

Et c’est exactement je crois cette futilité (ou plutôt ce défaut de futilité) qu’évoque, à propos de Stendhal, Philippe Sollers dans son dernier livre, quand il écrit : “il n’avait pas une âme à la française, il ne savait pas oublier ses chagrins” (Trésor d’amour, Editions Gallimard).

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