Brel vs Brassens

Un des souvenirs dont j’ai le plus honte, c’est une bagarre qui remonte à mes années de collège. Ça devait être en 1966, je devais avoir 13 ans. Je me suis écharpé violemment avec un type de ma classe, qui prétendait que le plus grand chanteur de l’époque, c’était Brel. Moi, j’avais une passion exclusive pour Brassens : personne ne lui arrivait à la cheville. Coups de poing, coups de pied, étranglements.


Ce souvenir me terrifie. Je n’étais pas du tout bagarreur. J’étais un garçon que chacun jugeait intelligent, équilibré, calme, et je partageais cette opinion que les autres avaient de moi. Et voilà qu’au fond de moi, mais peut-être pas si profond justement, peut-être juste sous ma surface, il y avait de la violence prête à éclater, et un gisement insoupçonné de connerie. Cet incident dévoilait quelque chose de ma propre nature que je trouvais effrayant. Je l’ai longtemps refoulé, et je crois que c’est la première fois que j’en parle, après plus de quarante ans.

A la vérité, ce n’est pas seulement l’idée que je me faisais de moi en tant qu’individu que cette bagarre a remis en cause. C’est aussi celle que je me faisais de l’espèce humaine. J’en suis, selon toute apparence, un specimen tranquille, et estimable. Pourtant, voici que je suis capable, dans un environnement paisible, de déclencher un conflit sur un sujet qui a priori ne s’y prête guère. Alors, dans d’autres circonstances ? Si j’étais menacé, si j’avais faim, si j’avais peur ? Et d’autres que moi, moins favorisés par la vie, plus meurtris, moins aimés ?

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