Quenelles (Prix Libercier 2, 2è partie)

(pour le début, voir Cas, méthode et video)

Une main s’était donc levée.

Les trois cameras braquèrent instantanément leurs objectifs sur l’audacieux qui avait fait le geste. Brouhaha dans la salle, étonnement, soulagement. Le cas était long, complexe, épais, truffé de tableaux (études de marché, comparatifs de prix, analyses des canaux de distribution, etc) : nous nous sentions collectivement mal partis, mais voici que notre camarade Perrot se dévouait et demandait à être interrogé. On respira, en se disant que puisqu’il avait eu le courage – ou l’imprudence – de s’y coller, il en avait pour un bon moment, ce qui nous laissait le temps de finir de parcourir discrètement les 80 pages de la “Société des vins de France” pour parer à l’essentiel en cas d’interrogation surprise.

Pourtant, à cet instant, je restai perplexe. Je m’expliquais mal que l’ami Perrot veuille se distinguer ainsi. Certes, il y avait bien l’attrait narcissique de se retrouver en vedette et de tenir le premier rôle devant les caméras, mais ça ne paraissait guère lui ressembler. Mon voisin partageait mes doutes et me glissa à l’oreille: – Attention, c’est pour le prix Libercier.

Le prof, lui, ne vit pas venir le coup. Il se tourna vers Perrot, et lui dit: -Attendez, Perrot, avant de parler, on va vous donner un micro. En même temps, il en prit un lui-même, afin que la bande-son de ce cours modèle pût passer dans toute sa splendeur à la postérité. Puis, s’étant raclé la gorge:
-Merci, Monsieur Perrot, d’avoir demandé la parole pour que nous commencions l’examen de la situation difficile dans laquelle se trouve la Société des vins de France. Voulez-vous nous résumer la problématique générale?
-Non, ça n’est pas pour ça que j’ai demandé la parole.
L’attention monta d’un cran, la tension aussi.
-Et pourquoi l’avez-vous fait alors?
-Parce qu’il y a dans la rédaction de ce cas une erreur rédhibitoire que je veux signaler. Une ignominie.
-Expliquez-vous, Perrot.
-Une monstruosité. Un scandale.
Les caméras zoomèrent sur son visage, qu’elles cadrèrent en plan serré, de face et sous les deux profils. Notre camarade ajusta ses lunettes.
-Page 43. Deuxième paragraphe. Je lis “le Saint Joseph est idéal pour accompagner les quenelles de Nantua”.
-Et alors?
-Je suis lyonnais, Monsieur. Les quenelles sont de Lyon! C’est la sauce, qui est de Nantua…

S’abonner
Notification pour
guest

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires