Une miette

Lu sur la page fb de mon amie Marina : « Des fois, quand je m’ennuie, je m’allonge par terre dans la cuisine et je fais semblant d’être une miette ».

Voilà une idée qui ne me serait jamais venue spontanément. Mais maintenant qu’elle est là, je la trouve terrifiante. Je vois arriver la chaussure dont la semelle va m’écraser, la bouche d’aspirateur qui va m’engloutir, les dents pointues de la souris qui va m’avaler, la balayette sale et poilue qui va me mettre à la poubelle. Il n’y a rien de paisible dans le fait d’être une miette. Je ne suis qu’une presque poussière, sans utilité ni valeur, je vais incessamment disparaître d’une manière ou d’une autre. Et en attendant, je suis rongée par la nostalgie du temps heureux où j’étais la mie ou la croûte ferme, jeune et pimpante d’un pain ou d’un gâteau juste sorti du four. Car on ne naît pas miette, on le devient. On le devient en perdant son enfance, sa jeunesse, en cessant d’être désirable, en s’amenuisant en déchet.

Il se peut alors que le seul réconfort qui me reste, dans ma petite tête de miette, mon dernier rêve et seul motif de fierté, soit d’imaginer que j’attire l’attention d’une personne, alors que je suis sur le sol de sa cuisine, et que je lui donne envie de s’allonger à mes côtés pour songer un moment à la brièveté de l’existence en faisant semblant d’être moi.

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Pommereuil Bernard

Voilà, cher Jean-Pierre, une rubrique qui me fait penser au texte de Marc 7, 28.
« Seigneur, les petits chiens, sous la table, mangent bien les miettes des petits enfants ! »
C’est à partir de cette réponse de la syro-phénicienne que le Christ comprend l’universalité de son message. Comme quoi les miettes peuvent avoir une grande importance. Ne les balaye pas trop vite.