Mes deux collègues circulaient en moto. Moi je me déplaçais en scooter. J’avais du mal à les suivre mais ils ne me distançaient jamais complètement : le trafic était dense et la ville était riche en feux rouges. Je les perdais parfois de vue mais je savais que j’allais les rejoindre. Il le fallait car c’est eux qui avaient l’adresse : pour ma part je ne savais jamais où nous allions.
Nous étions tous les trois experts en assurances, et ce jour là nous nous sommes retrouvés dans une maison en banlieue. À côté du séjour il y avait une petite pièce qui servait de bureau et dont l’un des murs avait été inondé. Infiltration ? Fuite ? Sur ce mur était collée comme un papier peint une grande carte ancienne dont l’encre avait coulé. Elle cloquait et se décollait par le milieu. Le dessin était brouillé, les couleurs s’étaient mélangées, les noms étaient devenus illisibles. Et notre travail ce jour-là ne consistait pas à déterminer l’origine du sinistre, mais à déchiffrer ce qui restait de la carte.
Comme j’y distinguais des remparts et des canaux, je tenais qu’il s’agissait d’une ville fortifiée de Hollande ou de Flandre. Mes collègues n’étaient pas d’accord. Ils y voyaient plutôt une représentation inversée de la Bretagne, avec le Finistère à l’est. — Elle a été collée à l’envers, disaient-ils, et pour appuyer leur thèse ils se sont mis à en arracher un morceau. Mais le plâtre est venu avec le papier. Il ne fut pas possible de conclure.
Nous sommes remontés sur nos deux-roues. Je n’avais pas assez d’essence pour rentrer. Ils ne m’ont pas attendu quand je me suis arrêté dans une station service. La nuit est tombée, il s’est mis à pleuvoir, les gouttes sur la visière de mon casque brouillaient ma vue, et j’ai suivi longtemps des avenues inconnues où les feux arrière des voitures et la lumière des réverbères dessinaient des filaments rouges et blancs qui ressemblaient à un gribouillage.
Puis je me suis réveillé.