Une croisière tragique

Le yacht était privé, c’était un gros voilier d’une cinquantaine de mètres de long. Nous avions embarqué pour une croisière. Je me tenais sur le pont, un soleil septentrional jetait une lumière blanche à la surface de l’eau. Je ne connaissais pas la mer sur laquelle nous voguions et j’aurais été bien incapable de nommer le port dont nous étions partis. Un steward me fit signe : notre hôte, le propriétaire du navire, conviait à une réunion la vingtaine de passagers qui se trouvaient à bord. Il nous annonça que nous avions mis le cap sur une île où nous accosterions le lendemain et où des distractions nous attendaient.

Le lendemain nous abordâmes dans une crique. Une fois à terre, chacun de nous reçut un panier en osier plein de fruits, puis on nous dispersa sans plus d’explications. Il y avait dans le mien des pommes et des oranges. Je montai par un sentier sur les hauteurs de l’île et arrivai dans une prairie rase semée de bosquets. Je me dis que nous participions à une chasse, que les fruits étaient peut-être là pour appâter du gibier, et je me mis à les lancer au hasard à droite et à gauche. Soudain une grosse poire vint éclater près d’une de mes oranges. Je me retournai. Une femme d’une soixantaine d’années se tenait derrière moi. Elle ressemblait à ma grand-mère et était vêtue d’une jupe de tailleur et d’un chemisier de soie grège fermé au col par un gros noeud. — Allons vers l’Est, me dit-elle, les autres n’y sont pas, avec un peu de chance nous trouverons des sangliers. Mais je ne suis pas allé très loin avec elle. Une fois mon panier vide, je suis rentré au bateau.

Pendant notre absence, il s’était mis à quai le long d’un petit débarcadère. Quelques personnes étaient déjà remontées à bord. Puis sans attendre que tout le monde soit revenu, le capitaine fit retentir la sirène et donna l’ordre du départ. Les passagers présents regagnèrent leurs cabines. Je restai sur le pont. Un étroit chenal en U nous séparait du large et nous devions passer entre deux falaises. La manœuvre était difficile, je l’observais avec attention.

C’est alors que le drame se produisit. Au moment où la poupe du navire commençait à s’éloigner du chenal, et alors que la mer semblait calme, une longue et haute vague nous prit par le travers. Le bateau chavira et se coucha sur son tribord. Je m’accrochai à un hauban. L’eau envahit l’intérieur. D’autres vagues nous drossèrent vers un rivage désertique. Le paysage avait changé. À peine échoués, des hommes en qamis et keffieh accoururent. Le navire était sur le flanc, les mâts brisés. Ils me recueillirent, puis je ne sais comment redressèrent le bateau sur sa coque. Je leur criai de casser les hublots et de pénétrer à l’intérieur. Ils trouvèrent trois membres de l’équipage noyés dans la cuisine, et cinq passagers morts. Les autres avaient disparu. La douleur me réveilla : j’avais le visage enfoncé dans le matelas et le corps tordu, bras d’un côté, jambes de l’autre, tout secoué encore du naufrage.

 

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Bruno SERIGNAT

Je suis frappé par la logique et la cohérence de tes rêves : les miens sont beaucoup plus chaotiques et leur apparente vraisemblance très souvent sujette à caution…