Un feuilleton passionnant

Je ne connais pas de meilleur spectacle en ce moment que celui de l’élection présidentielle, pour peu qu’on la considère avec quelque distance, et d’un œil si possible amusé. La comédie humaine s’y déploie d’une manière si débridée, grotesque et chatoyante, que je me surprends à en suivre quotidiennement les divers épisodes avec excitation. Je m’en étonne moi-même, et me découvre bien plus fasciné que je ne l’aurais cru par les péripéties rebondissantes de la campagne et par les personnages qui tentent d’en occuper le devant de la scène.

La manière dont les caractères se révèlent est particulièrement palpitante. Sur le plan dramaturgique, on perdra beaucoup en perdant Fillon. Cet homme d’abord sombre, terne et rigoriste, premier ministre il y a dix ans d’un « pays en faillite », spécialisé depuis toujours dans l’art de froncer les sourcils pour brosser le noir tableau d’une situation tragique, cet homme à l’humeur grave dont personne n’imaginait qu’il écraserait la primaire de la droite dans de telles proportions, se montre trouble, insoumis, coriace, vacillant, rebelle, au point qu’il éclipse toute la concurrence, qu’on croyait composée, pour la plupart, de plus grandes gueules que lui. Mais voilà : son caractère a fait prendre à un problème au départ digne de Courteline des dimensions shakespeariennes. L’issue ne peut plus être que dramatique, et comme une part croissante de mes compatriotes, ce qui me tient en haleine n’est plus ce qui va se passer, mais comment.