Un chevalier soixante-huitard

Nous prenons notre petit-déjeuner dans la salle à manger d’un hôtel de province. À la table voisine de la nôtre, la conversation va bon train. Quatre jeunes septuagénaires évoquent leurs souvenirs de mai 1968. Ils refont le débat entre Sartre et Aron. Ils parlent des cinémas disparus qu’ils fréquentaient alors au quartier latin. L’un d’eux, qui a relu il y a peu Le petit livre rouge, se demande comment un tel assemblage d’indigences sentencieuses a pu ne pas immédiatement dessiller ses yeux de maoïste. « Car au fond, confesse-t-il, je n’ai jamais vraiment été de gauche ».

Leur conversation est sympathique, détendue, plutôt brillante. Quand on en vient aux événements proprement dits, le même raconte une scène à laquelle il assure avoir personnellement assisté. « C’était aux abords d’une manif où ça commençait à chauffer. Cohn Bendit était à quelques mètres. Un de ceux qui l’entouraient s’est approché de lui, et lui a présenté un casque qu’il a ajusté sur sa tête. Un autre, avec un genou à terre, lui a mis dans la main un bâton. Et soudain, je me suis vu au Moyen Âge, face à un chevalier à qui l’on venait de passer son armure et de remettre son épée, pour l’apprêter à la bataille. C’était incroyable. »

— Incroyable ! répètent les autres. La conversation vient d’atteindre son climax. Elle retombe. Chacun rassemble ses pensées en silence. Puis une des femmes regarde par la fenêtre. « Il pleut toujours, dit-elle. Est-ce que l’on va quand même marcher ? »

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Aguerre

Savoureuse anecdote! 🤗