Il a soixante ans, il se remarie, et il a beau l’avoir déjà fait, il y a longtemps, il ré-enterre dignement, pour la seconde fois, sa vie de garçon. Ça ne consiste d’ailleurs en rien de bien extraordinaire, juste un très bon repas, bien arrosé, à l’issue duquel l’un de ses amis sort tout de même un gros pétard façon rasta, qu’ils se mettent à fumer devant le restaurant, sur l’avenue, en se passant le joint comme quand ils avaient vingt ans. C’est de la bonne, la tête ne tarde pas à lui tourner, assez fort, il n’a pas (plus ?) l’habitude.
Il rentre chez lui en voiture (ce n’est heureusement pas lui qui conduit), et s’allonge directement sur son lit, tout habillé, les bras en croix, le regard fixé interrogativement le plafond. Comme sa (future) femme s’inquiète : — Ça va aller, ma chérie, lui dit-il, mais je t’en supplie, fais attention, surtout, ne touche pas au bitume.
Sur cette phrase énigmatique, il s’endort.
— Qu’est-ce que ça voulait dire, ne touche pas au bitume ? lui demandera-t-elle le lendemain. — J’étais comme dans Inception*, répondra-t-il, j’avais changé de niveau de réalité, j’étais passé sous la rue et je voyais le bitume au-dessus de ma tête.
* film de Christopher Nolan