Les rois de Bloy

Vous tombez parfois sur une pépite, au hasard d’une promenade sur facebook. Elle niche dans le mur d’un ami, dans un commentaire, ou même dans une réponse à un commentaire, et, passé le moment de joyeuse sidération initiale (la surprise, l’émerveillement de la trouvaille), vous vous mettez à examiner de plus près cette chose inattendue, vous voulez absolument en connaître davantage, vous vous renseignez sur elle, et vous lancez vos moteurs de recherche pour explorer l’horizon qu’elle vous ouvre. Si c’est une musique, vous recherchez d’autres compositions du même artiste ; si c’est une photo ou un dessin, d’autres de ses oeuvres. Et si c’est un texte, pour peu qu’il soit ancien, vous voulez savoir d’où il sort, qui en est l’auteur, et le Graal est alors d’en retrouver la source sur Google Books.

C’est ainsi qu’il y a trois jours j’ai lu ce texte sur l’Epiphanie, juste après avoir mis en ligne Le voyage des mages :

« Demain matin, j’entendrai les cloches des Rois, des trois vrais rois, des trois authentiques et très-vieux rois qui vinrent, une fois, en pleurant d’amour, du fond de l’Asie, pour adorer un Enfant pauvre.
« On ne sait pas au juste d’où ils venaient, ces étrangers, mais c’était d’infiniment loin et leur puissante caravane aggravait, dit-on, le silence des solitudes, tellement ils se recueillaient à la pensée de contempler dans ses langes un petit Seigneur sans pain ni maison, qui résorbait en lui toute la joie des cœurs et toute la beauté des mondes. »

Sous le coup de ces deux phrases magnifiques, j’en ai remonté le cours, jusqu’à l’ouvrage hirsute dont elles sont extraites, Belluaires et Porchers, de Léon Bloy.

leon-bloy

C’est un hallucinant recueil d’articles critiques et pamphlétaires, souvent bien éloignés du recueillement muet des Mages. Il y est question de Lautréamont, de la tour Eiffel, d’Alphonse Daudet, des Goncourt. Bloy y déploie, comme il le dit lui-même, « l’insolite véhémence de [ses] clameurs vitupératoires », pour composer au fil des pages une méditation saisissante et douloureuse, pour éructante qu’elle soit, sur ce qu’est un Artiste, son intarissable soif d’absolu, son refus obstiné de toute compromission, son « adoration de l’Indigence »,  ce qui le rend semblable à ces rois pélerins qui « portaient de véritables couronnes qu’il n’eût pas été facile de leur prendre et qu’on eût vainement essayé de transformer en des colliers d’esclavage et d’ignominie, — étant forgées de cet Or brûlant dont est pavé le séjour des artistes calamiteux, quand ils sont morts et qu’on les a fourrés sous la terre. »

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