Le chant du bégonia

Tous les festivals n’ont pas été condamnés cette année par le Covid à la triste alternative d’être annulés ou de devenir virtuels. Le Festival International de Musique des Plantes est l’un des rescapés de l’hécatombe. Limitant sa fréquentation à quelques dizaines de visiteurs, il s’est tenu la semaine dernière à Gaujacq, commune limitrophe d’Amou.

C’est en effet au château de Gaujacq qu’un savant pépiniériste a mis au point il y a quelques années un dispositif technique qui permet de capter la différence de potentiel entre la racine d’une plante et sa feuille, et de la transformer en ondes sonores. Ayant posé que les sons ainsi produits constituent de la musique, il fait depuis quelques années chanter bégonias, fougères, camélias et géraniums.

C’était la première fois que j’assistais à un concert de ce type. La chose est manifestement une affaire d’initiés. J’étais venu en compagnie de Claudine et de ma belle-mère, et le premier morceau, un duo entre une fougère et une cantatrice, m’a rappelé les improvisations, pas déplaisantes d’ailleurs, auxquelles se livrent souvent, à l’issue d’une session, les participants à un stage de chant. Le public était extatique, et ma belle-mère a dit : « c’était plutôt beau ».

Le deuxième morceau mettait en vedette un bégonia, qui émettait des sons de percussion sur un rythme de tango, vif, alerte, et quand un accordéon l’a rejoint, on s’est retrouvés dans un dancing de Buenos-Aires, quelque part entre Carlos Gardel et Astor Piazzola. Ma belle-mère a dit : « je ne verrai plus jamais mon bégonia de la même façon ».

Entre chaque morceau cependant, nous subissions une longue interruption d’au moins un quart d’heure : il fallait changer de configuration et l’ingénieur du son s’emmêlait dans les câbles. Les musiciens en profitaient pour passer au brumisateur les végétaux chanteurs, placés sur le devant de l’espace scénique, mais comme on avait démarré avec beaucoup de retard et qu’on passait plus de temps en bidouillages qu’en musique, ma belle-mère commençait à trouver le temps long.

Le troisième morceau fit dialoguer un camélia (ou un géranium, je ne me souviens plus) avec la fougère du début. Les sons produits semblaient totalement aléatoires, errant entre les graves et les aigus, sans but apparent, sans rythmique, sans timbre précis. Une harpe, puis une contrebasse, essayèrent d’y mettre un ordre approximatif, sans succès. Je me demandais à quoi me faisait songer cette écoute, quand ma belle-mère me glissa à l’oreille : « Claude Rich à la recherche de l’accord absolu dans les Tontons flingueurs ».

Après quoi, nous nous éclipsâmes.

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Bertrand de Foucauld

Cher Jean-Pierre, qu’appelles-tu “différentiel entre la racine et la feuille”?