Chasse à l’enfance

Il y avait des femmes dont l’enfance avait depuis longtemps disparu, et il y avait des chiens que ces femmes avaient dressés. La nuit de mon rêve, elles s’étaient assemblées dans une maison ancienne pour y organiser une battue. Chacune était venue avec un souvenir que les chiens avaient reniflé, et aussitôt ils s’étaient élancés en aboyant, truffe au vent, oreilles en alerte : qui vers une chambre aux volets clos, qui vers le grenier à l’air rance, qui dans les herbes folles du jardin, qui dans la forêt au-delà du jardin.

La plus vieille de ces femmes était la plus agitée, elle donnait de la voix pour encourager un vieux braque français au pelage blanchissant qu’elle appelait Briffaut. Taïaut, Briffaut, taïaut ! Mais Briffaut traînait la patte, hésitant sur la direction à prendre. Je me tenais debout dans l’ombre sous une grande banderole « Chasse à l’enfance » et tout-à-coup, la lippe baveuse, il vint vers moi et me lécha la main. — Qu’est-ce que vous faites-là ? s’écria la vieille. Je ne sus que répondre. — J’ai connu Picasso, poursuivit-elle, et Picasso disait que dans chaque enfant il y avait un artiste, et que le problème était de savoir comment rester artiste en grandissant. Etes-vous un grand enfant ? — Comme tout le monde, répondis-je. — Non, pas comme tout le monde, justement. Mon Briffaut a un flair infaillible, il me rapporte toujours un gibier artistique : une petite musicienne, une danseuse, un peintre, une troupe d’acrobates. Vous, comment dois-je vous faire cuire ? En sauce ? A la broche ? A l’étouffée ?

J’ai haussé les épaules. Briffaut a cessé de s’intéresser à moi. Certains des autres chiens étaient déjà de retour. Ils escortaient fièrement jusqu’à leur maîtresse le morceau d’enfance qu’ils avaient attrapé. L’un d’eux rapportait un vol d’oiseaux. Sa maîtresse ouvrit une cage qu’elle serra sur sa poitrine. Battements d’ailes, plumes griffées : quelques oisillons y entrèrent, puis ils picorèrent le sein de la chasseresse jusqu’à faire entendre leurs piaillements dans la cavité de son cœur.

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