Z.U.T.

Ç’avait été une réunion amusante. On nous l’avait présentée comme quelque chose d’à part, et pour bien marquer sa force et son originalité, son caractère potentiellement transgressif, elle avait été baptisée ZUT. Zone d’Utopie Temporaire. On s’était même entendu dire (c’était un économiste et homme d’affaires qui parlait) qu’il n’y avait peut-être pas que l’économie dans la vie, que nos comportements d’humains pouvaient obéir à d’autres stimuli que ceux de l’intérêt et du profit, et que nos actes n’étaient pas entièrement réductibles à notre dimension de consommateurs. Voyez à quel point on était prêt à être audacieux, ce matin-là, voyez comme on était intellectuellement disposé à ressentir le grand frisson. Oui, on allait s’exposer à l’Utopie. S’y confronter. Et revenir changé à jamais de cette rencontre avec elle. Mais (rassurons-nous) dans une Zone bien sûr strictement délimitée, entre gens bien élevés, conscients que tout cela n’est qu’un jeu. Et surtout, de façon Temporaire. Tout serait terminé à dix-huit heures. A dix-huit heures, on pourrait rentrer chez soi avec le souvenir d’une journée enchantée, passée dans une sorte de parc d’attractions conceptuelles, et embrasser ses enfants, puis se servir un verre qu’on irait boire en répondant à ses mails, ou devant la télé.

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Qu’est-ce qui m’amène, même de façon ponctuelle, à participer à ce genre de manifestation ? Difficile à dire. Peut-être simplement l’envie de voir du monde (la vie d’artiste, telle que je la mène au quotidien, est souvent solitaire), la nostalgie d’une vie sociale, le besoin de me montrer, de me faire connaître, reconnaître. Ou peut-être le désir d’échapper à l’oubli, à cette sensation qui m’étreint parfois lorsque les journées passent sans une visite, sans un appel, et que je me surprends, l’espace d’une seconde, à me demander si, ayant pris le risque de me retirer du jeu, je ne me suis pas un peu trop rapproché de la mort.

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arbon

Encore une fois, merci Muriel de ta lecture si subtile et de ton attention.

L’oubli, la mort, sont des paroxysmes de ce désert (relatif) dans lequel je me suis retiré. Ils ne m’effraient pas. Si d’ailleurs j’avais la tentation de revenir à ma situation antérieure, les
journées du genre de celle que je décris, malgré leur lot d’échanges et de rencontres, suffiraient vraisemblablement à m’en dissuader.

Muriel

“Un parc d’attractions conceptuelles” : c’est très bien dit ! Les Zutistes du XXIe siècle ne seraient-ils finalement, malgré leur ouverture d’esprit ou l’originalité de leurs visions du monde, que
des je(ux)teurs d’utopies, considérant qu’elles restent idéelles, confinées dans l’enceinte d’un petit théâtre social, exclues naturellement du champ de la réalité – un pur divertissement, au sens
pascalien ?

Nos sociétés post-industrielles se noyent dans le règne absolu de l’économie, comme critère omniprésent et outil toujours plus modélisé pour se projeter dans l’avenir ; elles s’étranglent
elles-mêmes de ne plus croire en l’humanisme comme valeur première et fondamentale, d’être incapable repenser le monde, autrement que par le prisme du capitalisme – malgré la gravité des crises
qu’il engendre régulièrement… La faute à qui ? Au Système trop mondialisé et trop complexe, aux lobbyings ultras puissants de cette planète ? A la trop grande passivité des citoyens face à cet état
des choses, ou à la faiblesse de leurs moyens d’action ??

Et… un petit signe à l’auteur de ce blog, pour lui dire qu’il ne peut tomber dans l’oubli en écrivant ici et en nous soumettant sa pensée du jour, que chacun a ou non le loisir de méditer ensuite :
il y a là une vie sociale virtuelle… Encore faudrait-il que nous lecteurs, lui donnions le signe qu’il ne s’approche pas d’une mort sociale, en nous laissant plus spontanément intervenir sur ce
blog…