Retour sur la rentrée de Sciences Po.
Elle est tombée sur un sujet de débat “fantaisiste” : Faut-il arrêter les fontaines quand il pleut ? Elle doit dire que non. Défendre le point de vue qui est apparemment celui du gaspillage, celui de l’eau gâchée et inutile, celui du “laisser-couler”. Et elle entame :
– Qu’est-ce qu’une fontaine ? Rien qu’un peu d’eau qui coule, pour ceux qui, quand on leur montre la Lune, ne voient que le doigt. Mais une fontaine, c’est une histoire, vieille parfois de dizaines de siècles ; une fontaine, c’est une civilisation. Pensez aux Romains. Ils réalisèrent en Gaule des travaux d’infrastructure gigantesques : routes, enceintes, édifices publics, théâtres… et surtout aqueducs. Car l’eau est la première et décisive étape vers la culture : elle irrigue les sols, elle donne à boire à ceux qui les travaillent, elle lave, elle rafraîchit. Chaque fontaine qui fleurit sur un territoire est une conquête, un moyen de nous éloigner de l’état sauvage, un point autour duquel établir sa maison, un outil doux et durable pour sortir de la précarité. Voilà comment s’est formée la France. Une fontaine, ce n’est à la base qu’une pierre et de l’eau. Mais c’est en même temps le fruit du long effort des hommes pour domestiquer leur environnement, et y habiter dignement. C’est du nécessaire, puis du confort, puis de la beauté. C’est une borne qui scelle l’alliance séculaire de l’homme avec sa terre, et c’est pourquoi, souvent, on la sculpte, on l’orne, on l’embellit. La pierre stable et l’eau fuyante, ce qui demeure et ce qui s’enfuit : tout se noue dans un travail et une histoire, et il ne s’agit pas que d’art ou de symbole : c’est bien l’essentiel de l’aventure silencieuse de nos ancêtres qui se matérialise là.
Elle poursuit : – Une averse, et il faudrait couper tout cela ? Trancher le lien qui nous unit non seulement à un pays, mais à un héritage ? Annuler le signe que nous envoient par ces édicules toutes les générations qui nous ont précédé ? Non. Laissons tomber la pluie sans troubler les fontaines. L’eau qui coule apporte la vie, et passe comme le temps. Voudrait-on aussi arrêter ces deux-là ?