Le cheval, la princesse et le territoire

Il était une fois un roi qui s’appelait MoTu. Il régnait sur l’un des sept royaumes combattants de la Chine ancienne. Ses voisins, les Hus de l’Est, étaient aussi, héréditairement, ses ennemis.

Un jour, les Hus de l’est lui envoyèrent une ambassade. Ils souhaitaient faire la paix, et sollicitaient que pour gage de celle-ci, MoTu leur offrît son cheval. C’était un animal prodigieux, capable, disait-on, de parcourir la distance de mille li en un jour.

MoTu réunit ses conseillers et leur exposa l’affaire. Tous furent d’avis que la demande des Hus témoignait de leur arrogance coutumière, et qu’il fallait la rejeter. Mais MoTu dit : pourquoi risquer la guerre pour un cheval ? Et il donna le cheval.

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A quelque temps de là, une nouvelle délégation des Hus se présenta au palais. Leur roi, expliquèrent les messagers, montait le cheval chaque jour, et avait pris goût aux douceurs de la paix. Il souhaitait la consolider par une alliance. L’une des filles de MoTu passait pour la plus belle et la plus exquise des princesses : il la demandait pour épouse.

MoTu consulta à nouveau ses conseillers. – Les Hus de l’Est ne seront jamais rassasiés, dit l’un. – Quelle  prétention inacceptable !, dit un autre. Tous l’adjurèrent de refuser. Mais MoTu dit : pourquoi risquer la guerre pour une princesse ? Et il donna la princesse.

Quelques mois encore passèrent, puis une nouvelle ambassade arriva. – Nos peuples sont heureux, exposa l’émissaire des Hus, car ils vivent désormais en paix. Notre grand roi n’a pas de plus haute ambition que de sceller entre nous une paix éternelle. Il y a cette langue de terre inculte et déserte à la frontière de nos deux pays : cédez-la nous, et ce sera la paix pour toujours.

Convoqués une troisième fois, les conseillers de MoTu jugèrent que la demande n’était pas déraisonnable. Ces quelques arpents marécageux ne servaient à rien. Après tout, on avait bien déjà donné le cheval et la princesse. – Pourquoi risquer la guerre pour un bout de terrain ?, dit l’un d’eux.

– Parce que la terre est le fondement de l’état ! trancha MoTu. Il renvoya l’ambassade, mobilisa son armée, déclara la guerre aux Hus de l’Est, et les battit à plate couture. Car les Hus, croyant que MoTu était faible parce qu’il ne leur refusait rien, ne s’étaient pas préparés, cette fois, à la bataille.

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(Je tire cette histoire d’une ancienne édition de l’art de la guerre de Sun Tzu. Elle n’est pas de Sun Tzu lui-même, mais de l’un de ses commentateurs. Comme j’ai égaré le livre, je la cite de mémoire. Il n’est pas inintéressant de lire à sa lumière l’histoire de la Crimée et les événements en cours.)

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