L’angle de l’écriture

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L’écriture est une question d’angle. Exprimer une idée, ou une sensation, sans sombrer dans la platitude ou passer à côté, est un exercice de finesse, un peu comparable à l’atterrissage d’un avion : il faut s’approcher du sujet avec la bonne incidence. Cela tient à trois fois rien. Un mot ou une formule un tant soit peu impropre, une attaque lourde ou facile, et l’on s’écrase dans le lieu commun. A l’inverse, une périphrase allusive, une approche trop vague et détournée, et l’on ne dit rien de ce qu’on croit raconter.

Il y faut le ton, l’esprit, le rythme, la musique. Comment décrire une scène ? Comment camper un personnage ? Comment révéler la vérité d’une situation ? Le bon angle est subtil. Quand on le trouve, il fait chatoyer le récit de mille nuances qu’on n’a même pas besoin d’y mettre, car elles apparaissent d’elles-mêmes, comme la lumière qui se décompose dans un prisme produit un arc-en-ciel. 

Tout se joue souvent dès la première phrase. Celle du Procès, de Kafka, (« On avait sans doute calomnié Joseph K., car sans qu’il eût rien fait de mal, il fut arrêté un matin ») est un exemple parfait d’incipit réussi. Tout est dit de ce que développera le roman par la suite. Mais on n’est pas toujours forcé d’aller ainsi droit au but. Partir sur un détail, ou emprunter un chemin détourné, peut être aussi la bonne approche.

Maupassant, spécialement dans ses contes, sait parfaitement trouver cet angle d’écriture dont je parle. Mais le maître absolu de l’exercice, et de ses multiples variations, c’est La Fontaine. Sa façon d’aborder ses personnages, de les habiller – ou pas – en animaux, de leur faire vivre des fables, c’est-à-dire des histoires mensongères, mais qui contiennent des vérités qui servent de leçons, et la cohérence de style qui court à travers l’ensemble de son recueil, témoignent à cet égard d’une virtuosité sans pareille. L’art d’écrire avec lui devient le jeu d’écrire, et personne, jamais, n’y a excellé autant que lui. 

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2 Commentaires
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arbon

Je suis assez de l’avis de Jules Renard. Il faut éviter le gras.

Charles Chester

Il me vient à l’esprit la réflexion de J.Renard ; selon lui il ne faut s’éterniser ni dans la récit ni dans la description. Il ne faut que donner “des éclairs de tout”, imposer silence dans son coeur à “l’orgue de Barbarie qui ne veut pas se taire”. Ce puritanisme de l’écriture passe en particulier par la censure des images et des métaphores : “j’ai mis dans mon jeu le goût de la pauvreté”. L’écriture sèche contre la phrase trop “serpentine”… à voir