J’aime bien

Ah ! Si toutes les chansons naissaient comme “J’aime bien” !… J’étais dans mon lit, endormi, je faisais un rêve… Je flottais dans une sorte de brume mousseuse, à l’intérieur d’une immense baignoire en émail blanc, de la taille d’une piscine, sur les parois desquelles tombaient d’incroyables plantes vertes, et moi je nageais, je volais là-dedans, libre, m’amusant à faire des longueurs en frôlant les bords, le côté droit d’abord, puis un virage serré, puis le côté gauche, puis nouveau virage, et j’accumulais les tours au son d’une musique qui swinguait comme une chanson d’Ella Fitzgerald, d’ailleurs c’était elle qui chantait, une chanson inconnue, avec des paroles anglaises étranges qui disaient :

I love the sensation of being happy
I like the one of being sad
I love when things around are good and easy
But I don’t dislike when they’re bad

Quand je me suis réveillé, j’avais dans la tête la plus belle chanson du monde, puis je me suis aperçu que je l’avais rêvée. Je ne voulais pas qu’elle m’échappe, je ne voulais pas allumer la lumière ni ouvrir les yeux, j’ai attrapé un petit carnet qui reste toujours sur ma table de nuit, j’ai noté dans le noir ce que je pouvais noter pour m’en souvenir. Puis les heures ont passé. Le charme est retombé quelque peu. J’ai fixé la mélodie et la grille d’accords à la guitare, j’ai complété les paroles en anglais. Et j’ai laissé passer quelques jours.

Une après-midi, alors que je roulais en scooter sur les grands boulevards et que je dépassais un groupe de bicyclettes, j’ai réalisé que le côté “vintage” de l’air pourrait s’accorder avec une évocation de la chanson d’avant le rock et la pop. Des titres de Montand sont arrivés dans ma tête, et le premier couplet des paroles françaises était terminé avant que je ne descende de selle. J’ai complété avec les principaux de mes maîtres : Trénet, Brel, Ferré, Brassens.

J’aime bien me promener à bicyclette
J’aime bien flâner sur les boulevards
J’aime bien prendre mon temps pour une chansonnette
Et mater sous les balançoires

J’aime bien les coins de rue la nationale sept
J’aime bien le swing et les fleurs bleues
J’aime bien traîner dans l’âme des poètes
Et dans ma chambre où tiens ! il pleut

J’aime bien les vieux amants et les marquises
J’aime bien Bruxelles et Amsterdam
J’aime bien comme Jacky chanter la bêtise
Et décliner rosa rosa rosam

J’aime bien les jolies mômes la vie d’artiste
J’aime bien les hauts d’ la ” the nana “
Avec le temps j’aime bien les anarchistes
Et danser le tango c’est extra

Mais j’aime par dessus tout la plage de Sète
Tromper la mort me faire tout p’tit
Chanter mes p’tites chansons à Marinette
Danser sous les coins d’parapluie