Formes du temps

Longtemps je me suis representé le temps à partir de formes géométriques souples. Pour les jours, la quinzaine constituait l’unité de base : un anneau allongé aux extrémités duquel se trouvaient les deux dimanches. Le lundi amorçait la portion de droite qui conduisait jusqu’au prochain weekend, puis on revenait avec la semaine suivante, comme dans un stade, sur la partie opposée de la piste. Si nous étions par exemple un mardi, et que je pensais à un rendez-vous que j’avais le mardi suivant, je parcourais mentalement la ligne droite et le virage qui m’amenaient de l’autre côté du stade. Si je pensais encore au mardi d’après, j’effectuais un tour complet de l’anneau. Mais je ne me retrouvais pas au point de départ. Quelque chose s’était déplacé, le point de vue n’était plus tout-à-fait le même, ni la lumière. Cependant, je voyais bien que je fonctionnais à cette échelle avec des cycles de quinze jours. Cela fonctionnait d’ailleurs aussi bien vers le passé que vers l’avenir. Il suffisait de faire le tour de l’anneau en sens inverse.

A l’échelle du mois, l’anneau laissait la place à une ligne brisée qui se déployait dans l’espace. Je me figurais l’année comme une sorte de tuyau coudé à angles droits. Janvier et février s’alignaient à peu près, puis on virait vers mars, et encore vers avril. Mai et juin partaient droit jusqu’à un grand tournant, d’où juillet et août filaient vers septembre. On entrait dans octobre comme sur un toboggan qui obliquait en bas vers novembre. Un dernier virage débouchait sur décembre, lequel se raccordait en coude au tuyau de l’année d’après.

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Il y avait enfin l’échelle des décennies, celle de la vie elle-même. Celle-là pouvait être relative au calendrier (les années 50, 60, 70) ou absolue (la trentaine, la quarantaine, la cinquantaine). Dans les deux cas, chaque décennie était un segment de droite, qui s’articulait au suivant en prenant une nouvelle direction dans l’espace. La figure ressemblait au tuyau des mois de l’année, sauf que la notion de cycle avait disparu. L’origine de la ligne relative se perdait à l’infini, comme sa fin. Celle de la ligne absolue était connue mais invisible : les années 0 à 10 surgissaient du néant, les segments déjà franchis étaient nets et figés, et ceux qui s’étendaient devant moi traçaient une route dont le dessin se prolongeait si loin que j’allais forcément en atteindre l’extrémité bien avant d’en avoir parcouru la longueur.

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