Capitaine Grenouille

J’ai une pensée pour le (ou la) capitaine V., – c’était une femme -, sous les ordres de laquelle j’ai servi pendant mon service militaire. Si les uniformes de l’armée de l’air avaient été verts, et non bleus, elle aurait ressemblé à s’y méprendre à une grenouille.grenouille-francoise.png

Le capitaine V. (on n’avait pas encore à l’époque définitivement confondu le genre d’un mot avec le sexe de la personne qu’éventuellement il désigne) avait un sens aigü de la hiérarchie, en même temps qu’elle manifestait un certain intérêt pour la littérature. Moi, j’étais le soldat de deuxième classe Arbon. En tant que simple troufion, j’étais obscur et – par définition – sans grade, mais comme j’avais fait de bonnes études, elle ne dédaignait pas de venir de temps à autre s’entretenir avec moi.

Elle sortait alors de son bureau, se hissait de toute sa petite taille face au guichet derrière lequel je me tenais, croisait les bras en dessous de son opulente poitrine, la remontait d’un énergique coup d’épaule, et entamait la conversation. Je mentirais si je prétendais avoir de ces échanges des souvenirs émus.

Un jour, elle me demanda ce que je pensais de tel auteur qui lui plaisait beaucoup. Je lui dis que je le trouvais très commercial, au sens péjoratif du terme. Ça l’avait choquée. Elle se mit à faire des sortes de flexions sur ses jambes, comme si elle se préparait à sauter.  – Mais enfin, soldat, comment pouvez-vous dire une chose pareille ? – Simplement parce que je le pense : c’est mon avis, je vous le donne.

Elle se figea, se dressa sur la pointe de ses petits pieds, tenta de me toiser de haut en bas, et siffla : – Soldat, lorsque vous vous adressez à moi, vous devez dire : Mon capitaine ! Et sachez que je n’ai pas d’avis à recevoir de vous ! Ne me donnez pas d’avis, c’est un ordre !

C’est ainsi que prirent fin nos causeries littéraires.

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