A quoi bon ? est une excellente question qu’on devrait, comme Que sais-je ? , se poser plus souvent. Il y a tant de choses que l’on fait mécaniquement, ou sous le coup de l’émotion, ou parce qu’on y est plus ou moins inconsciemment incité (par la publicité, par la pression sociale), qu’il vaudrait souvent mieux, avant d’agir, s’interroger quelques secondes sur le sens de ce que l’on va faire. En suivant cette règle, un esprit lucide conclura fréquemment à l’inutilité ou à la vanité de ce qu’il s’apprêtait à entreprendre, et sera conduit à s’en dispenser.
L’abus d’à quoi bon ? peut certes déboucher sur l’àquoibonisme, qu’on perçoit généralement comme une menace, au motif qu’il nous amènerait à rester chez nous sans rien faire, résignés au désordre du monde. Mais si la grande majorité de nos contemporains parlait et s’agitait moins, le désordre du monde en serait-il réellement augmenté ?
Au fond, il me semble que si chacun se posait honnêtement la question à quoi bon ?, et était authentiquement convaincu de la vanité des choses, il acquerrait par là-même la liberté de suivre son chemin à soi, en vérité. Il s’attacherait à faire ce qu’il juge bon. A quoi bon deviendrait une question qui se poserait non par rapport au résultat escompté d’une action, mais par rapport au mouvement que cette action initie en nous-mêmes.
Exemple: mon cher Montaigne. Quand il renonce un jour à sa charge de magistrat, et s’enferme dans sa tour en compagnie de ses livres pour écrire ses Essais, la question « A quoi bon ? » n’y est pas pour rien. Et il est clair qu’après qu’il a abandonné la vie « active » (il y reviendra dix ans plus tard), la question ne le lâche pas pour autant. Comme toutefois, entre-temps, sur le maigre curseur des réponses possibles, la sienne est passée de « rien » à « je ne sais quoi », écrire est devenu pour lui la juste manière d’accomplir son « humain voyage ».
