A la fin de ce CD, que j’ai réécouté hier, il y a une piste fantôme, où l’on entend quelques morceaux choisis de la correspondance que Georges Brassens et Roger Toussenot, un philosophe de ses amis, ont entretenu en 1948-49 (et aussi une 16ème chanson, une version extraordinaire des Stances à un cambrioleur, par un certain Géraud, la meilleure reprise du disque à mon avis).
Du coup je suis allé picorer quelques extraits de ces lettres.
« La philosophie m’ennuie. Que tu le veuilles ou non, elle sent le professeur, le didactisme, la dialectique. Que veux-tu que je fasse de ces architectures de la raison ? »
«Je suis né pour fumer la pipe et mesurer la vanité de tout. Je nous vois tous couchés sous la terre… La mort est l’unique certitude. En outre, je sais que rien n’est bon, mauvais ou bien ou mal.»
«Tu parles, tu parles, de façon éblouissante certes, mais tu parles et tu ne devrais que chanter. CHANTER, comprends-tu? Vois-tu, tu es trop violent avec les imbéciles, trop intégral. Pourquoi ne pratiquerais-tu pas la théorie de la non-violence? Ils sont cons, c’est un fait, mais que veux-tu y faire? Tu ne dis rien aux aveugles qui ne voient pas. Alors!»
J’aime infiniment cette idée de chanter pour ne pas parler, pour ne pas se mettre en colère, pour ne pas échafauder de théories foireuses, pour ne pas faire inutilement violence aux infirmes du coeur ou de l’esprit.
Je la rapproche de cette merveileuse observation de La Fontaine, dans une fable (l’Avantage de la science) qui met aux prises un fat et un homme de savoir :
Brassens : “de quel droit va-t-on attenter aux rêves des hommes ? il n’y a pas d’hommes méchants, il n’y a que des peureux”
Question : Que faire devant un mur ?
Brel “je le défonce”
Brassens “je réfléchis”
Ferré “je le contourne”
Brel “mais l’homme ordinaire, il fait pas ça devant l’obstacle… il construit un autre mur devant et il met un toit”
certains chantent, d’autres parlent ou écrivent ou …dessinent, il faut surtout réussir à s’exprimer!
Mouais…comme si en chantant, on ne parlait pas, on n’exprimait pas sa colère, ses théories…Sauf à ne chanter que “la, la, la”, on dit des choses dans les chansons: Brassens, Ferré, Ferrat et autres Arbon nous le prouvent, à commencer par cette petite dernière “Temps d’hiver”, pleine de colère, non?
Heureusement que Brassens ne s’est pas contenté de “fumer la pipe” en mesurant “la vanité de tout” (portrait dans lequel je me reconnais malheureusement trop bien!)