L’herbe de l’oubli

Autrefois, en Bretagne, les fêtes de fin d’année ne duraient pas comme maintenant une soirée et un peu le lendemain: c’était tout le mois de janvier et les gens faisaient le tour du village de soirée en soirée. L’homme qui m’a raconté cette histoire était alors un jeune garçon.
Un jour, se trouvant seul chez son grand père, alors que celui-ci était parti travailler aux écuries, il avisa, posés à l’envers, tout autour de la cheminée, des verres sales. Croyant rendre service, il entreprit de les laver (et de les ranger). Puis, tout fier de sa bonne action, il attendit que son grand-père rentre et le félicite.
Le grand-père rentra. Il vit que les verres avaient disparu. Il pâlit. “Mais… qu’est-ce que tu as fait?… Qu’est-ce que tu as fait?” Il criait, très en colère. Puis il s’assit sur une chaise, abattu: “Je n’ai plus d’amis… Je n’ai plus d’amis…” Et il pleura.
La présence des verres signifiait celle des amis. Elle témoignait des moments où lui et ses camarades s’étaient rassemblés pour discuter et boire un coup. Elle constituait la promesse de prochaines agapes, lorsque les hommes passeraient à nouveau d’une maison à l’autre, où verres et alcool les attendaient, prêts à un usage immédiat.

De temps en temps, surtout en fin de soirée, il arrivait que l’un d’eux vienne à manquer. Ça ne troublait guère le grand-père et ses amis. L’enfant de sa chambre les entendait rire, en échangeant une phrase gaie et mystérieuse : “Ho ! c’est qu’il est tombé dans l’herbe de l’oubli !”Ça voulait dire que l’absent était tombé dans le fossé, où il cuvait.

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