Hagards et nus

Papa (87 ans) est à l’hôpital. Je lui rends visite. Il partage sa chambre avec un monsieur qui est son cadet d’un an et a été victime d’un accident vasculaire cérébral. Ce monsieur, d’une délicate courtoisie, m’interpelle pour la quatrième ou cinquième fois:
– Excusez-moi de vous déranger, mais quel jour sommes-nous s’il vous plait?
– Nous sommes jeudi.
– Ah! Et quelle heure est-il? J’ai l’impression qu’il fait très sombre.
– Il est six heures moins le quart.
– Du matin?
– Non, du soir. La nuit vient de tomber.
– Mais… Pourtant… On est bien en juin?
– Non, nous sommes en décembre. Jeudi 4 décembre. Six heures moins le quart.
Il a un regard désemparé, laisse retomber sa tête sur son oreiller, s’agite un peu. Dans le mouvement, ses draps glissent. Il est nu devant moi. Ne s’en aperçoit pas. Il cherche à recoller les morceaux dans sa tête.
Je le regarde. Et soudain je me dis que nous sommes tous comme lui. Hagards et nus. Il se montre juste à nous tels que nous sommes. Hagards et nus, dans le brouillard.

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