La mère de toutes les cuisses

Mon ami Etienne Klein publie dans Le Monde daté du 21 novembre une très intéressante tribune, intitulée Mystères de l’Univers, dans laquelle il médite sur les origines du monde.

Je vous en livre ce passage:

“Force est donc de constater que les sciences ne saisissent jamais que des origines relatives, c’est-à-dire des mécanismes d’émergence, des contextes de première apparition. S’agissant de l’Univers, elles invoquent toujours une cuisse de Jupiter constituée des ingrédients préalables dont elles doivent disposer pour approcher la question de son origine : ce peut être le vide quantique, l’explosion d’un trou noir primordial, ou n’importe quoi d’autre. L’important, c’est de noter qu’il est toujours question de quelque chose, jamais de rien.

Du coup, le commencement en question n’est plus un commencement ex nihilo : en tant que conséquence de ce qui l’a précédé, il constitue plutôt un achèvement. Et pour progresser d’un pas supplémentaire, il n’y a pas d’autre moyen que d’invoquer une nouvelle cuisse de Jupiter, puis une autre, et ainsi de suite, sans jamais mettre la main sur la cuisse originelle, la mère de toutes les cuisses.” 

C’est intéressant, cette référence à la cuisse de Jupiter, à plusieurs titres. Car dans la mythologie gréco-latine, qui en est sorti? Dionysos, ou Bacchus. Or Dionysos, étymologiquement, c’est le “deux fois né”. Avant de sortir en effet de la cuisse du dieu, on l’avait extrait du ventre de sa mère, qui mourut alors qu’elle était enceinte. Comme il n’était pas à terme, il acheva sa gestation dans la cuisse de son père tout puissant. Autrement dit, même si comme le dit joliment Etienne, on “mettait la main” sur la cuisse originelle, on n’aurait pas pour autant trouvé l’origine de tout.

Et puis Dionysos, c’est le dieu du vin et du délire créateur, dont la vie fut fort mouvementée et les errances multiples, si bien qu’assimiler le monde à ce personnage, souvent représenté comme un enfant, parfois muni de cornes, s’agitant sous des déguisements variés, sujet à des transes et à toutes sortes de débordements, ne fait qu’ajouter à la pertinence de la comparaison.

PS: à tous ceux qu’une réflexion à la fois intelligente et accessible sur les rapports de la science et de la société intéresse, je recommande vivement le dernier livre d’Etienne Klein : Galilée et les Indiens (Flammarion)

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arbon

Tellement touffu que je ne m’en suis pas encore trop approché dans ce blog: voir L’ennemi de Robert d’Arbrissel

Muriel

Pour Courbet aussi, qui glisse, sans mettre la main dessus, de la cuisse vers la caverne aux secrets, l’Origine du monde était un sujet touffu !