Les grands boulevards

“J’aime flâner sur les grands boulevards / Y’a tant de choses, tant de choses, tant de choses à voir”, chantait Yves Montand.


Brassaï a pris cette photo sur les grands boulevards, en 1934. La dame regarde la vitrine, nous regardons la dame en train de regarder la vitrine, nous rions, nous sourions, puis c’est un vertige infini qui nous prend, à imaginer les pensées de cette dame, à imaginer ce qu’elle s’imagine, est-elle réellement tentée par un achat, pense-t-elle à son mari dont elle souhaiterait réveiller les ardeurs, ou à un improbable amant à qui elle voudrait faire une surprise, ou bien s’arrête-t-elle là sous l’emprise d’une sorte de regret, pour rechercher des sensations lointaines, ranimer un désir disparu, se remémorer quelques folies qu’elle a faites ou qu’elle aurait pu faire, quelques nuits d’amour et de jeunesse avec cet homme qu’elle aimait, et qui est désormais trop vieux, ou malade, ou déjà disparu, et d’ailleurs cette dame elle-même est morte depuis bien longtemps, -la photo a été prise il y a presque soixante quinze ans-, et Montand a disparu, et Jacques Plante, le parolier, et les mannequins, et le magasin lui-même probablement, tout a disparu, tout a été englouti, tout, sauf cette photo, son ombre chaude et ses lumières froides, ce manteau noir et massif face à cette lingerie fine et blanche, et l’invisible vitre qui les sépare, l’infranchissable frontière, et qu’est-ce qu’était notre rire au départ, sinon un peu d’écume à la crête d’une vague de nostalgie ?

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