Scènes de la vie des Légers (5) : Pêcheurs, Sieste, Songes

 

Pêcheurs

Les Légers ont une grande admiration pour les pêcheurs. Il semble qu’ils soient surtout très respectueux d’une activité où il faut déployer une profusion considérable de matériel (cannes, supports de cannes, épuisettes, bourriches, seaux, glacières, etc.) pour demeurer paisiblement assis des heures durant au bord d’un plan d’eau, à ne rien faire.

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Sieste

Les cabanes perchées dans les arbres font les délices des Légers. D’après eux, il n’y a pas meilleur endroit pour faire la sieste. On y jouit d’une position décalée, en léger surplomb, idéale pour s’assoupir en méditant, avec lucidité mais sans arrogance, sur notre commune condition.

Au sortir de leur somme, ils lèvent les yeux et contemplent un moment les nues qui voyagent à travers les feuilles et les branches. Puis ils jettent un regard amusé sur le monde au-dessous d’eux. À l’attention de ceux qui passent à terre, ils poussent de petits cris farceurs, afin de les étonner, de les déranger un instant dans leur marche, de leur faire lever les yeux plus haut que leurs pieds.

Quand ils redescendent, ils ont le cœur gai, quoique sans illusion.

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Songes

Quand il enfonce la touche d’un piano, de préférence vers les graves, le Léger ne la relâche pas : il la tient enfoncée, et écoute. Il écoute jusqu’au bout. Il écoute le son qui se déploie, s’atténue et meurt dans l’épuisement de sa vibration. Il l’écoute s’enrichir de l’infinie subtilité de ses harmoniques, puis peu à peu s’en dépouiller. Il voyage ainsi, sur le son, jusqu’au silence et au songe. Puis il profite de la rêverie qui s’en suit.

Similairement, quand il lit une phrase, plutôt poétique, le Léger la laisse résonner. Il ne se précipite pas sur la suivante. Il laisse le sens, l’émotion et la musique de cette phrase retentir en lui, éveiller des échos imprévus, susciter de subtiles associations d’idées. Grâce à elle, il sonde la topographie de son esprit. Il goûte jusqu’à son extinction l’ébranlement parfois infinitésimal qu’elle a provoqué dans son être. Et, de nouveau, il se met à songer.

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(à suivre)

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