J’ai fait la rencontre d’un philosophe médiatique et par conséquent bien connu. Il venait disserter sur les Fables de La Fontaine lors d’une conférence à laquelle je n’avais pas prévu d’assister. Avant que celle-ci ne commence, nous échangeons quelques mots. Puis, passées les civilités d’usage, comme j’étais en compagnie de deux personnes à qui j’avais promis de dire La mort et le mourant, je commence à réciter : « La mort ne surprend point le sage ». Le philosophe écoute.
Quand j’eus fini, il s’exclama : — Mais elle est extraordinaire cette fable ! Comment s’appelle-t-elle ? — La mort et le mourant. Vous ne la connaissiez pas ? — Euh, non… Enfin, si, bien sûr, je l’avais lue, quand j’ai lu les Fables, comme tout le monde, mais c’était il y a longtemps… Je l’avais oubliée…
Je trouvais extraordinaire qu’on pût accepter une invitation à gloser sur les Fables sans se donner la peine de les avoir relues, et plus extraordinaire encore qu’on pût oublier ce chef d’œuvre qu’est La mort et le mourant.
J’avais un peu de temps devant moi. Curieux d’entendre ce que notre philosophe allait dire, je me suis glissé dans un coin de la salle. Il débuta son intervention par une réflexion sur la géniale présence des animaux dans les Fables : les bêtes (si j’ai bien compris) n’étaient pas là uniquement comme métaphores des hommes, mais aussi en tant qu’elles-mêmes, ce qui visait à souligner non seulement la part d’animalité qu’il y a en chacun de nous, mais aussi l’enjeu pour tout humain de ne pas rechuter dans la bestialité ou dans la bêtise. Soit.
Il poursuivit en donnant lecture de deux fables : c’était, pensai-je, afin d’illustrer son propos. Il choisit Le laboureur et ses enfants et La laitière et le pot au lait. Comme ce sont deux fables dont les protagonistes ne sont pas des animaux, j’ai trouvé cela curieux. Mais peu importait. Sortant quelques papiers supplémentaires de sa poche, il en vint enfin à l’essentiel : il nous donna la primeur de ses nouveaux écrits. Il déclama en se rengorgeant une fable géopolitique de son crû, qui commençait par « Un mal qui répand la terreur », et imitée (nous précisa-t-il) des Animaux malades de la peste ; puis, sans que l’idée de passer pour un fat l’effleurât le moins du monde, il se lança dans un long extrait d’une sorte de sotie décalquée d’Animal farm de George Orwell.
Je me suis éclipsé au moment où il s’apprêtait à commenter lui-même les joyaux qu’il venait de nous révéler. J’avais vu, de mes propres yeux, un auteur dire à La Fontaine ôte-toi de là que je m’y mette. J’avais vu la grenouille s’étendre, s’enfler, se travailler.
La journée avait été plaisante.
La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf par Gustave Moreau
Michel Onfray ?
Hé non ! Ils sont nombreux, vous savez, à être capables de parler avec aisance de sujets auxquels ils ne connaissent pas grand chose…
Pour vous mettre sur la piste, je reprends ce qu’une amie a écrit sur ma page fb : « celui-ci “quelqu’un m’a dit qu’il s’aimait encore” »