Les années soixante

Dans les années soixante, la société est encore cohérente. Toutes ses composantes tirent peu ou prou dans le même sens. Tout le monde pense l’avenir en termes de progrès : progrès scientifique, technique, économique, social. Ces progrès s’enchaînent les uns aux autres. La génération de mes parents en veut, en redemande. Elle a connu la guerre et les pénuries. Les familles découvrent l’abondance matérielle. Elles s’équipent. Voiture, réfrigérateur, télé. On a plaisir à consommer. On n’en est pas encore arrivé à la satiété.


Il y avait alors un élan, historique et collectif, pour s’arracher au monde rustique et simple qu’avaient connu les générations précédentes depuis des siècles. L’électricité dressait des barrages, inondait des villages, créait des saignées énormes dans les forêts à flanc de montagne, hérissait ses pylônes partout sur le pays : on trouvait cela normal, positif, en un mot : bien. C’était le progrès. Même chose pour les autoroutes, les aéroports, les usines, la croissance urbaine. On ne voyait pas ce que ça détruisait, mais ce que ça construisait. Un pays moderne, fort, dynamique, une économie d’abondance, un monde aux antipodes de la disette et de la précarité. On s’arrachait à l’indigence originelle. On bâtissait un avenir radieux. La prochaine voiture serait plus grosse et plus puissante. Le prochain logement plus spacieux et mieux équipé. L’année prochaine, on mettrait moins de temps pour arriver sur le lieu des vacances.

Dans cette euphorie du décollage, rien ne semblait inaccessible. On conquérait l’espace. On allait marcher sur la Lune. Mars était pour bientôt, et Jupiter pour 2001.

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