La lenteur de Dieu

On peut voir au musée de Dresde une annonciation de Francesco del Cossa, au premier plan de laquelle le peintre a figuré, sur le bord inférieur du tableau, un escargot. Cet escargot n’a, a priori, rien à faire dans une scène de ce genre. Il constitue une énigme pour les historiens de l’art qui ont, au fil du temps, multiplié les conjectures afin de fournir une explication à sa présence. Et Daniel Arasse, l’un des plus subtils d’entre eux, lui a consacré à la fin du siècle dernier une étude entière que je viens de lire*.

Parmi toutes les interprétations qu’il propose, voici celle qui me plait le mieux. On croyait autrefois que Dieu avait créé l’homme et la femme en des temps reculés, mais pas si anciens que cela : d’après les spécialistes de la Bible, il y a 6000 ans environ. A peine créés, Adam et Eve tombèrent comme on sait dans le péché et furent chassés du paradis. Jésus arrive quatre mille ans plus tard. Quid du sort de tous ceux qui ont vécu et sont morts entre temps, marqués de la faute originelle de leurs ancêtres ? Si Dieu savait de toute éternité qu’il enverrait son fils pour racheter les péchés du monde, pourquoi a-t-Il attendu si longtemps avant de rouvrir le chemin du ciel ? Ses raisons resteront sans doute à jamais impénétrables, mais on peut néanmoins constater qu’en l’espèce, Il a agi avec la lenteur d’un escargot.

Ce serait donc cette lenteur de Dieu que Francesco del Cossa aurait peinte, non sans facétie, sous la forme d’un gastéropode : la hâte lente de Dieu, ou pour le dire autrement, le fait que nous ne vivons pas dans la même échelle de temps que Lui.

J’aime aussi une autre hypothèse, non exclusive de la précédente : comme les escargots sortent en nombre après la pluie, on pensait au Moyen-Age qu’ils étaient engendrés par la rencontre de l’eau du ciel avec la terre, ce qui en faisait quasiment des créatures nées du divin. En mettant l’un d’eux aux pieds de la Vierge au moment où elle entend l’ange lui annoncer ce que le Saint Esprit va opérer dans ses entrailles, Cossa indique une sorte d’équivalent familier à l’immaculée conception. Il ne dissipe pas le mystère d’un Dieu qui se fait homme, mais il en atténue le caractère invraisemblable en signifiant que les escargots viennent au monde à peu près de la même façon.

* Le regard de l’escargot, in On n’y voit rien (Ed Folio)

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