Décryptage : Trump et Dostoievski

Décryptage est le mot à la mode. Sur les chaînes d’info, dans les journaux télévisés, à la radio, dans la presse papier, depuis quelques années, ça décrypte à tout va. Les décrypteurs se sont donné pour mission d’éclairer le citoyen, et de lui découvrir le dessous des cartes. Eux, on ne la leur fait pas. Eux, ils comprennent ce qui est à l’oeuvre, et savent par conséquent mieux que d’autres ce qui va se passer. Et comme ils ont la bonté de nous en faire part, nous voici initiés aux secrets de la marche du monde.

C’est ainsi que nous savions, jusqu’à hier, de source aussi sûre qu’intelligente, qu’Hillary Clinton serait élue à la présidence des Etats-Unis.

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Naturellement, aussitôt la victoire de Donald Trump connue, les décrypteurs se sont mis à décrypter les raisons pour lesquelles ils ne l’avaient pas vue venir. Ils en ont trouvé des centaines.

Le problème, et je le dis (presque) sans ironie, c’est que les gens qui pratiquent toutes ces analyses sont intelligents. S’ils se livrent au décryptage, c’est qu’ils croient que les événements ont toujours, sous l’apparence, un sens caché. Leur activité repose sur le postulat qu’il y a une rationalité à révéler, et, derrière la surface des choses, de l’intelligible à faire apparaître au grand jour. Les gens intelligents fonctionnent ainsi : ils voient du sens partout. Ils introduisent de ce fait un biais considérable dans les déchiffrements qu’ils opèrent : ils attribuent systématiquement aux choses des causes et des effets dont elles sont peut-être dépourvues. Et ils ignorent l’avertissement de Martin Buber : « Nous ne toucherons le fond de la question anthropologique que quand nous aurons reconnu aussi comme spécifiquement humain, dans l’homme, ce qui n’est pas être-de-raison ».

Un de mes amis sur Facebook a publié hier fort à propos sur son mur cette citation de Dostoievski :
« Moi, ça ne m’étonnerait pas du tout de voir surgir, comme ça, sans prévenir, en plein milieu de cette raison régnante, un monsieur au physique ingrat, ou, pour mieux dire, rétrograde et sarcastique, qui se mettrait les deux mains sur les hanches et qui dirait : — Dites-donc, messieurs, est-ce qu’on ne pourrait pas l’envoyer valdinguer, toute cette raison, d’un seul coup de pied, seulement pour envoyer ces logarithmes au diable, et pour vivre à nouveau selon notre liberté stupide ? Et ça, encore, ce ne serait rien, mais le malheur, c’est qu’il trouvera obligatoirement des partisans : l’homme est ainsi fait. »

 

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Anne-Marie Soulier

Dostoïevsky connaissait les logarithmes ??