Voyager selon Montaigne

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Voyager, c’est sortir de chez soi : ce devrait donc être, d’une certaine façon, sortir de soi, et confronter sa vie, comme le dit Montaigne, à « la diversité de tant d’autres vies, opinions et usages ». Ce devrait être accepter de brouiller ses repères, en goûtant « une si perpétuelle variété de formes de notre nature ». Ce devrait être se découvrir par les différences, et élargir nos esprits, nos idées, à la mesure de l’horizon.

Mais qui sait réellement voyager ? Qui s’ouvre réellement à des coutumes et des manières qui ne sont pas les siennes, qui laisse réellement place à l’étrange de l’étranger ? Et où est-ce encore vraiment possible ? Que restera-t-il sous peu de cet étranger vers lequel autrefois on disait aller (« je pars pour l’étranger »), quand tous les exotismes auront été laminés par le capitalisme mondial, gratte-ciels et autoroutes, Mac Do et Coca, villes chinoises ou arabes rasées et reconstruites à l’américaine, hôtels identiques, prestations similaires, produits semblables, goûts communs, comportements standardisés, partout ?

On parle beaucoup de la perte de la biodiversité, et l’on pense aux animaux et aux végétaux, mais la diversité humaine est la première à souffrir de cette uniformisation implacable imposée par la soi-disant « rationalité économique » : une dévastation irréparable du monde, par réduction vertigineuse de la « variété de formes de notre nature », variété qu’on aurait bien du mal aujourd’hui à qualifier de « perpétuelle », comme Montaigne en son temps.

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