Une question a occupé l’esprit humain pendant des siècles, qu’on risque de ne plus se poser avec l’avènement du livre numérique ; abruptement formulée : peut-on se torcher avec un bouquin ?
Curieusement, les sages des différentes civilisations ont généralement répondu par l’affirmative, tout en tenant parfois des raisonnements opposés. Je distinguerai globalement deux écoles : les pragmatiques et les idéologues.
Les premiers sont admirablement représentés par Lord Chesterfield, aristocrate et homme de lettres anglais du XVIIIè siècle. Dans ses Lettres à son fils, Lord Chesterfield donne en exemple « un homme qui était si bon ménager de son temps qu’il ne voulait pas même en perdre cette petite portion que la nature l’obligeait de passer à la garde-robe : il employait tous ces moments-là à repasser les poètes latins. Il achetait, par exemple, une édition ordinaire d’Horace, dont il déchirait successivement quelques pages, les emportait avec lui dans cet endroit, commençait par les lire et ensuite les envoyait en bas (…). C’était autant de temps de gagné. »
Les plus beaux specimens des seconds se recrutent, sans surprise, chez les fondamentalistes religieux. C’est ainsi qu’un certain Ash-Shams [ad-Din] Ar-Ramli, mort en 1004 ap J.C, dit qu’ « il est interdit d’utiliser les livres respectés comme les livres de hadith et de fiqh pour le nettoyage anal après la défécation ». En revanche, « les livres qui ne sont pas respectés, comme la Torah et le Nouveau Testament, qui sont connus pour être corrompus et qui ne contiennent pas le nom du Très-Haut, peuvent être utilisés pour se nettoyer le derrière après défécation ».
On voit qu’il faut emporter aux toilettes, dans un cas des livres à lire, dans l’autre des livres à ne pas lire, mais que dans les deux cas il est permis (voire recommandé) de les utiliser pour, comme dit Fourest, s’absterger le fondement.
Blanc ? Quelle classe !
Si je me servais de livres pour ça, je n’utiliserais que la table des matières. Mais, en fait d’abstersion, je vote blanc.