Je vois la chanson comme un fleuve à deux rives.
Sur sa rive gauche, la chanson est exigeante. Elle a quelque chose d’un sacerdoce. On ne la pratique pas innocemment. Elle est par définition “à texte”, et fréquemment “à message”, ou engagée. Comme ce qu’elle dit est important, son accompagnement musical est en général dépouillé. Il convient que les mots soient mis en valeur. Un seul piano, une unique guitare, font très bien l’affaire. Ceci s’accorde de toute façon avec son peu de moyens.
Ipso facto, elle sollicite d’abord la tête de l’auditeur, son intelligence. Elle interpelle. Elle entretient son public des grands problèmes du monde, en quatre ou cinq minutes pour chacun d’eux. La chanson rive gauche est de gauche. Elle est profondément élitiste. Elle déplore le penchant des masses pour les refrains faciles. Tout ce qui est populaire, au sens de ce qui a du succès, lui est aujourd’hui devenu suspect. Elle vit dans la nostalgie d’un âge d’or où la qualité rencontrait le grand nombre. Cela remonte aux années cinquante. Elle ne supporte pas que le monde ait changé. Comme elle n’a pas changé elle-même, son public s’est forcément rétréci. La rive gauche de la chanson est pleine de plaintes sublimes et de tourbillons vicieux qui tournent sur eux-mêmes, en rond, forçant au surplace ceux qui sont entraînés par là. Elle abrite des mots d’une admirable justesse, pleins de colère, de tristesse, de frustrations. Elle est à l’écart du courant. Elle sent la vase. Il n’y a nul autre endroit que celui qu’elle occupe d’où l’on voie mieux le fleuve couler.
Jacques Prévert, 1949, © Izis
Bonjour Eric
Ça ne m’empêchera peut-être pas d’en écrire une autre, mais il y a déjà celle-ci: http://maisquiestarbon.over-blog.com/article-26111010.html
Rive droite ? Rive gauche ?
Finalement, est-ce que le point le plus intéressant ne serait pas le pont, qui unit les rives.
Le pont c’est la concentration du trafic entre les rives. C’est le lieu des passages, le lieu des rencontres.
Le pont c’est aussi l’exposition au risque de chacune des rives (souviens-toi de Mostar). C’est le premier truc qu’on fait sauter dans les guerres.
C’est aussi le lieu (mi-lieu) de médiation, celui où on échange les espions ou les otages.
C’est un point instable sur lequel on ne réside pas (quoiqu’il y en ait qui vivent sous les ponts…) car on finit fatalement sa trajectoire sur un rive ou l’autre.
Riche et fragile à la fois.
Allez, Arbon, un effort : écris-nous une chanson sur les ponts 😉
Quant à l’extrême-gauche on ne chante pas pour passer le temps, c’est pas peu dire ; merci pour vos articles que je savoure comme des chroniques qui me mettent souvent de bonne humeur.
Texte, commentaires de texte, corrigé: ce n’est plus un blog, c’est les annales du bac (…pour passer le fleuve, à défaut de pont -musical, bien sûr).
Prévert voisin de Vian à Montmartre, Cité Véron brille au firmament de la chanson dite Rive gauche. Les deux rives se croisent essaimant ici et là. La chanson n’est l’otage de personne – de la
droite (rive gauche) ou de la gauche (rive droite)… et vice versa. Même lorsqu’elle devient le symbole d’un engagement (cas du Déserteur), la chanson ne se laisse pas aisément récupérer.
Mais revenons au sujet de cet article. C’est du fleuve de la chanson dont il est question et de la forme qui enferme parfois les auteurs compositeurs interprètes de chansons -dites- à texte.
Attachés à une langue et à un art élitiste, certains renoncent à faire le « pari de l’élite nombreuse » (expression chère à l’auteur de ce blog).
Mettre la poésie à la portée de tous est pourtant le grand privilège de la chanson. La musique y contribue pour une bonne part. Nul besoin de traducteur pour comprendre un air de chanson ; celui-ci
séduit (ou pas) par sa créativité et son originalité. Comme l’écrit Vian dans En avant la Zizique, on ne peut reproduire indéfiniment la même forme.
Ni mineure, ni majeure la chanson est un art populaire, un art de la rue. Dans le même ouvrage, le Bison évoque sur ce thème « L’âme des poètes » et le grand Charles :
« Longtemps, longtemps, longtemps après
Que les poètes ont disparu
leurs chansons courent encor’ dans les rues.
La foule les chante, un peu distraite
En ignorant le nom d’l’auteur
Sans savoir pour qui battait leur cœur.
Parfois on change un mot, une phrase
Et quand on est à court d’idées
On fait :
La la la la la la »
Cela paraît simple, et pourtant il y a quelque chose qui tient du miracle dans le succès d’une chanson.
C’est une rive gauche métaphorique, celle de la chanson, pas de la Seine… Alors oui, ce n’est pas très clair, mais dans ma géographie imaginaire, Montmartre et les 3 baudets peuvent très bien
se situer rive gauche… 😉
?
Je vis à Montmartre, près de l’ancienne maison de Boris Vian, près Pigalle, en plein terrain musical … là où vous vous produisez : l’Européen, les 3 Baudets … comprends pas …
Oui pour demain. Pour lundi, pas sûr. J’ai prévu autre chose. Mais écrire une synthèse serait en effet un bon exercice…
On attend (demain?) “la chanson, rive droite” de droite, forcément de droite, celle qui flotte sur l’écume des jours, et la synthèse (lundi?), qui verra le chanteur apolitique …ou centriste
s’installer sur une île, entre les bras du fleuve, au-dessus de la mêlée.