C’est de l’eau

“C’est de l’eau” est un tout petit livre de David Foster Wallace qui vient de paraître au Diable Vauvert. Il est très bref, mais très profond. Il s’ouvre sur cette histoire qu’on connaît tous :

Un gros poisson en croise deux petits, et leur dit :
– Salut les jeunes, l’eau est bonne?
Et l’un des deux jeunes demande à l’autre:
-Tu sais ce que c’est, toi, l’eau?

“Dans quoi baignons-nous?” est une question très complexe, que l’on ne se pose pratiquement jamais. Il y a des réalités tellement fortes et tellement habituelles qu’elles nous deviennent imperceptibles, ou transparentes. Il en va ainsi notamment des schémas de pensée auxquels une civilisation, une époque, une éducation nous habituent. Ils forment une “idéologie” qui conditionne nos actes et nos engagements, et dont nous n’avons pour ainsi dire jamais conscience. C’est notre façon de penser, et nous sommes presque tous dans l’incapacité de la remettre en cause. On ne la voit pas, pas plus que les poissons ne voient l’eau.

David Foster Wallace est américain. On comprend qu’il baigne dans son pays dans une eau toxique pour lui : culte de l’argent, de l’individualisme, de la puissance. Il sous-titre ce petit ouvrage “Quelques pensées pour vivre sa vie avec compassion”. Il exhorte ses lecteurs à découvrir cette vérité pour “arriver à trente ans, peut-être même cinquante, sans avoir envie de se tirer une balle dans la tête”.

Il n’a pas tenu. Il s’est suicidé à 46 ans, le 12 septembre 2008.