Bêtes aux aguets

J’ironise sur la fin du malheureux Alkan, mort écrasé par sa bibliothèque. Je dois cependant confesser que cela réveille en moi un très ancien souvenir.

J’ai cinq ou six ans, je me trouve chez mes grands-parents, et je suis assis seul, dans la pénombre, sur le tapis d’un petit couloir dont les murs sont tapissés de livres, du plancher jusqu’au plafond. J’ignore ce que je fais là, j’ai peut-être des jouets devant moi sur le sol, mais je ressens un certain malaise, le sentiment d’une présence vaguement hostile. Je lève la tête, et je ne vois, indistinctement, que des livres, deux parois de livres vertigineuses, qui me surplombent, me toisent, qui pèsent sur moi dans le silence, masse sombre et étrangère, comme des bêtes aux aguets. Ils pourraient se jeter sur moi. S’ils se laissaient tomber du mur, leurs pages ouvertes comme des mâchoires, ils m’engloutiraient, et personne ne me reverrait plus. Mais rien ne bouge. Je fixe en tremblant leur menace noire et muette, et finis par m’en aller prudemment, à quatre pattes, à reculons.

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Est-ce pour conjurer cette peur d’enfance que je suis, un temps, devenu éditeur ?

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