Haute voix et silence

Il y eut dans l’histoire de la lecture un moment où tout a basculé. Un moment où l’on est passé de la lecture à haute voix, héritée de la Grèce et des dialogues platoniciens, dans laquelle l’écrit est avant tout la transcription d’une parole que la lecture permet de restituer, à une lecture silencieuse. Ce moment est daté : vers 380 ap JC. Il est décrit dans ses Confessions par Saint Augustin, qui s’étonne du silence dans lequel lit Saint Ambroise, dont il fut le disciple.

« Quand il lisait, ses yeux étaient conduits à travers les pages, et son esprit en perçait le sens, mais la voix et la langue, en revanche, étaient en repos. Souvent en franchissant le seuil de sa porte, dont l’accès n’était jamais défendu, où l’on entrait sans être annoncé, nous le trouvions lisant silencieusement et jamais autrement, et nous restions assis plongés en un silence continu – qui, d’ailleurs, aurait osé être une gêne pour quelqu’un d’aussi absorbé ? »

Pourquoi Saint Ambroise se met-il à lire en silence ? Saint Augustin apporte deux réponses à la question. Dans un premier temps, il avance que c’est simplement pour ne pas être dérangé. Si l’accès à la salle de lecture est libre, et si quelqu’un y lit à haute voix, c’est une invitation implicite pour le visiteur à écouter, et à engager le dialogue si le texte présente des points obscurs. Lire en silence, c’est lire pour soi-même, sans offrir de prise au-dehors.

Mais cette façon de lire n’est pas innocente. Elle conduit à écouter le texte au-dedans de soi. Si bien qu’une seconde réponse émerge, dont l’Eglise va faire peu à peu une exigence spirituelle : « ceux qui vaquent normalement, comme diacres ou comme catéchistes, au ministère de la Parole, doivent, par une lecture spirituelle assidue et par une étude approfondie, s’attacher aux Ecritures, de peur que l’un d’eux ne devienne un vain prédicateur de la Parole de Dieu au-dehors, lui qui ne l’écouterait pas au-dedans de lui ».

C’était au temps où la lecture se composait principalement de textes saints, et où il s’agissait d’accueillir en son cœur la parole de Dieu.

Aujourd’hui, presque tout devrait se lire à voix haute.

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