Réflexion
L’Ineffable rentre chez elle, enlève silencieusement son manteau, et va s’asseoir dans un fauteuil du salon. Sans journal ni livre en main, sans portable, elle reste là, les yeux dans le vague mais l’air concentré.
Le Léger s’en inquiète :
– Tout va bien, ma chérie ?
– Chut ! …
– Est-ce que tu as besoin de quelque chose ?
– Non. Je réfléchis.
– A quoi ?
– A ce que je vais penser.
*
Nappe et table
Ils sont au restaurant, avec un Industrieux de leurs amis.
– A votre avis, que se racontent la nappe et la table ? demande l’Ineffable.
– Une table et une nappe n’ont rien à se dire, et d’ailleurs elles ne parlent pas, répond l’Industrieux.
Voilà bien, pense le Léger, une réflexion d’Industrieux. N’a-t-il donc jamais remarqué la façon dont une nappe se pose sur une table ? Ne l’a-t-il pas vue, gonflée d’air, monter haut au-dessus du plateau, puis s’étendre sensuellement sur lui comme une immense caresse retombant pli à pli ? Alors, répondant à son tour :
– « Ma peau est sur toi tout entière, je te protègerai des miettes, des petites taches, des menus chocs. » Voilà ce que murmure la nappe, dit le Léger.
L’Ineffable sourit.
– Oui. Et si la nappe est celle sur laquelle Picasso est en train de dessiner ? Si c’est celle sous laquelle est caché Orgon quand Tartuffe se déclare à Elmire ? Si c’est une table où des noms sont gravés ? Si c’est celle de la Cène ?
Et les « si » l’emportent comme en un tourbillon.
*
(à suivre)