Rêvasser

J’ai toujours rêvé. Rêvassé, disait mon père, et ma mère : dans les nuages. C’est un état qui me place à côté de moi-même, dans un espace aux contours flous. Une idée passe, je la suis, une autre arrive, me détourne de la première, elles sont encore informulées, ce sont des pensées d’avant la pensée, elles se mêlent, se séparent, se déforment, font naître des figures qui se transforment à leur tour… C’est un kaléidoscope mental, qu’un rien active et fait bouger, un univers gazeux, déstructuré, un lieu de méditations magmatiques, un creuset sans contours où la matière intellectuelle, à l’état de volutes, s’apprête quelquefois à se condenser.

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Normalement, d’un endroit pareil, on ne peut rien rapporter. On n’y trouve que des objets mentaux élémentaires ou extraordinairement primitifs, qui sont loin d’avoir la densité et la stabilité suffisantes pour être exposés à la conscience, et se désagrègent instantanément en sa présence. Ils n’impriment pas la mémoire. A moins que l’on ne rêve assez longtemps. Alors parfois, une réaction se produit, une cristallisation a lieu, et quelque chose d’infiniment fragile et délicat peut être recueilli après que le rêve s’est retiré. Il faut en fixer la trace tout de suite, si l’on veut le conserver. J’imagine que c’est ainsi que vient aux peintres le projet d’un tableau, aux physiciens l’esquisse d’une théorie, aux mathématiciens l’ébauche d’une conjecture, aux poètes l’embryon d’un poème. Moi, c’est ainsi que naissent mes idées de chansons.