J’avais assisté il y a quelques années à une représentation de Pelléas et Mélisande à l’opéra Bastille, et le moins que l’on puisse dire, pour parler clair, c’est que j’avais trouvé ça mortellement chiant ennuyeux : livret sans aucun intérêt, dialogues grotesques, et dès l’ouverture un type qui faisait semblant d’être à cheval couvrait de sa voix le son de l’orchestre pour chanter sans la moindre mélodie « Ah ! Tiens, je me suis égaré dans la forêt, je poursuivais un sanglier, mon cheval s’est perdu. » Si bien que lorsqu’on nous a invités Claudine et moi à le revoir au théâtre des Champs-Elysées, mon premier réflexe a été de dire non.
Et puis, vu la gentillesse de la personne qui nous y conviait, et considérant que nous n’avions pas grand chose de mieux à faire, nous nous y sommes rendus. Et cette fois, un charme a opéré : voix magnifiques, orchestre aux timbres subtilement dosés, décor étrange, mise en scène lente et dense… Je me suis réconcilié avec l’opéra de Debussy. Pas avec Maeterlinck, l’auteur de la pièce originelle, dont les paroles ne m’ont pas paru moins insipides, creuses, et pour la plupart inutiles, que la première fois, tant elles se contentent de décrire les actions que l’on voit sur scène (« Je vais par ici ou par là, je te prends la main, je te tiens les cheveux, je lance ma bague, oh mais où est-elle passée ?…»). Le vieux et efficace principe américain du show, don’t tell (qui recommande d’éviter toute redondance dans un spectacle entre ce que l’on montre et ce que l’on dit) est bafoué ici du début à la fin. Mais une fois surmonté le ridicule littéraire de l’œuvre, la production parisienne du moment offre bien des charmes, et j’avoue avoir admiré ce que le metteur en scène, les chanteurs, le chef, les musiciens, les lumières, ont su tirer de magie de cette obscure et consternante histoire.
(Parmi les petits bonheurs de la soirée, je veux mentionner celui d’avoir découvert dans le rôle — muet — de l’une des trois Parques notre amie Julie Mathiot, impressionnante figure hiératique d’une courte mais très intense présence.)
Théâtre des Champs-Elysées, jusqu’au 17 mai.