Papa qui n’y voit presque plus me tend son répertoire. Il me demande de composer pour lui le numéro de téléphone de son ami R. Je consulte la page.
— Le numéro est rayé, lui dis-je.
— Je sais… C’est parce qu’il est mort.
— Mais tu veux quand même que j’appelle ?
Il hésite une seconde. Il redoute que je prenne ce qu’il va me dire pour de la sénilité.
— On ne sait jamais, me répond-il.
Il sonde le silence de ses amis morts. Il ne croit pas au miracle, mais il cherche à raviver de diffus souvenirs. Peut-être que quelqu’un pourrait décrocher, une fille, un fils, avec qui il serait susceptible d’évoquer quelques instants la figure du disparu. Ou même… sait-on jamais ?
Je compose les dix chiffres. « Nous vous informons que ce numéro n’est plus attribué ». Il soupire en écoutant la voix synthétique du message.
— Eh oui… dit-il d’une voix triste. C’est bien ça… Ils sont tous morts maintenant. Tous morts.
J’ai fait ça, il y a des années après la mort accidentelle de maman, téléphoner à son bureau, l’entendre à nouveau. Une voix inconnue a répondu, j’ai raccroché, elle était bien morte.