La pêche au lecteur

Je découvre depuis huit semaines à quoi ressemble la vie d’un romancier une fois que son bouquin est sorti : il prend le train, et se rend à des fêtes (des foires, des salons) du livre un peu partout en France.

La « fête » consiste la plupart du temps à rester assis sur une chaise derrière une table et à regarder passer les gens. L’auteur est exactement comme un pêcheur posté au bord d’un cours d’eau. Il a lancé sa ligne, les couvertures du livre font office d’appât et d’hameçon, et il attend que ça morde. Cela dure parfois très longtemps. Et puis soudain, on croit que le bouchon s’enfonce. Un poisson-lecteur s’est approché, qui vous jauge du regard, qui lit la quatrième, qui pose quelques questions. Mais souvent, pffft, il repart en ayant juste mâchouillé un bout d’asticot… Presque tous les auteurs sont logés à la même enseigne, à part quelques professionnels comme ceux qui ont obtenu le prix Goncourt (Goncourt de pêche évidemment), ou qui sont passés à la télé. Ceux-là ont juste à lancer leurs filets pour que toute la rivière s’y précipite.

Parmi ce peuple de lecteurs, ou supposés tels, se glissent quelques specimens bizarres. Une espèce de vieux silure femelle est ainsi venue l’autre jour m’entretenir pendant dix minutes en faisant mine de s’intéresser à mon livre, avant de tourner les nageoires au motif que de toute façon il y avait trop d’auteurs, et par conséquent trop de livres, que cela engendrait nécessairement de la médiocrité, et que donc, depuis trente ans, elle n’achetait plus rien. « Au revoir et tant pis pour vous » fut sa conclusion.

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