Ceux qui connaissent mon répertoire se souviennent sans doute que je suis sensible aux marronniers. « Dans les salles de classe il y avait toujours des fenêtres / Et derrière les fenêtres il y avait toujours des marronniers / Combien de temps j’aurai passé dehors ainsi sans y être / A regarder les feuilles verdir et puis tomber. »
Or, depuis une vingtaine d’années, à cause d’une petite chenille nommée la mineuse, une ravageuse redoutable dont on ne sait pas comment se débarrasser, les marronniers se dégarnissent de plus en plus tôt. Dès le début du mois d’août leurs feuilles se détachent et tombent à terre rabougries, racornies, recroquevillées, minuscules : les ramures sont nues, c’est l’hiver en été.
L’écolier rêveur se voit donc désormais privé du spectacle de leur chute. Celle-ci se produisait autrefois vers la fin septembre. Les feuilles tombaient alors lourdes et grosses. On les ramassait dans la cour de récréation et on se servait de leurs longs pétioles comme de petites matraques. On appelait ça des casse-têtes. Il fallait éviter de prendre des coups, et aussi en donner.
Contrairement aux salles de classe, les cours d’école n’ont jamais été des endroits propices à la rêverie. Ici, les cris, l’agitation, le temps vif. Là, l’immobilité, le silence, et les minutes qui s’amoncelaient lentement, pareilles aux feuilles d’automne, jusqu’à ce que la cloche sonne leur dispersion.