Pour revenir à La Fontaine et Brassens, puisque je me suis mis à réfléchir au plaisir que me procure leur fréquentation, je dirais ceci : on peut ne rien ignorer de l’injustice du monde et des faiblesses des hommes, et en rendre compte sans pathos, sans révolte, sans colère, sans désespoir. On peut même, par une heureuse disposition de caractère, s’en amuser. C’est rare, mais c’est le cas de nos deux amis.
Il existe en masse, et depuis toujours, des gens pour s’émouvoir, s’indigner, protester, redresser des torts, appeler au combat, et vouloir changer le monde. Ceux-là, on n’en a jamais manqué. Et d’ailleurs, les peuples les aiment, car ils font écho à leurs angoisses. Mais sont-ils, sur le long terme, utiles ? Beaucoup moins, certainement, qu’ils ne sont disposés à le croire. Les personnes qui, à mon sens, sont infiniment plus précieuses, ce sont au contraire celles qui, tout en étant parfaitement lucides sur les imperfections de la nature humaine, savent non seulement ne pas crier, mais sourire : celles qui savent se distraire du spectacle de notre vaine agitation, à l’échelle de l’espèce ; celles qui se divertissent d’observer que tout ceci compose « une ample comédie aux cent actes divers / et dont la scène est l’Univers », ou qui chantent que s’il avait fallu qu’ «enfin tout s’arrangeât / depuis tant de grands soirs que tant de têtes tombent / au paradis, sur Terre, on y serait déjà ».
Parfaitement dit !