Il me plaît de m’attarder un peu en compagnie de ce François-Georges Maréchal, marquis de Bièvre, dont j’ai conté avant-hier la fin apocryphe mais parfaite.
Ma curiosité ayant été piquée, j’ai ouvert cette fameuse « Lettre à Madame la comtesse Tation », (c’est, soit dit en passant, un des grands mérites de Google Books de nous rendre immédiatement accessibles toutes ces oeuvres du passé malheureusement tombées dans un oubli certain), et je me suis plongé dans la lecture de sa préface. Je ne résiste pas au plaisir de vous en livrer le passage essentiel :
« Le style qui parle à la fois au bon sens, à l’esprit et à l’imagination est préférable à celui qui ne parle qu’au bon sens (…) Le poème de Télémaque me tombe sous la main ; à l’ouverture du livre, je lis ces mots qui commencent la description de la grotte de la Déesse :
De là, on découvrait la mer, quelquefois claire et unie comme une glace.
Ce début est noble, il est précis ; le bon sens est certainement satisfait, mais l’esprit ne l’est pas, et l’imagination s’endort. Un léger changement va tout réparer. Mettez à la place : « De là on découvrait la mer, quelquefois claire et unie comme une glace à la crème. » Dès lors, l’esprit sourit, l’imagination se réveille, un rapport heureux nourrit et multiplie l’idée. Le mot glace devient un foyer d’où s’élancent deux rayons divergents. Le bon sens ne s’éloigne pas du rayon qui l’éclaire, et l’imagination s’égare avec celui qui lui plaît. »
Je trouve cette glace et ses rayons éblouissants, et un peu à la manière d’une glace à la crème, mon coeur fond de tendresse pour un homme qui sut aussi être le brillant théoricien de sa fantaisie.
PS: je vous invite également à prendre connaissance, du même auteur, des Amours de l’Ange-Lure, en lisant le commentaire dont une lectrice avisée a bien voulu honorer mon billet il y a deux jours. Libertinage et mots d’esprit nous propulsent vers les sommets de l’esprit français tel qu’il s’est épanoui au XVIIIè siècle.