C’était le 28 juin, un dimanche à la campagne, organisé par deux amis originaires du même village de l’Yonne. Toute la journée, une forte pluie était tombée sur la fête, mais on avait mangé, ri et bu, on était même allé se promener dans la boue du chantier du futur TGV qui allait passer non loin de là. A un moment j’avais improvisé un refrain sur ma guitare “Merci Bébert, merci Lucien / On se souviendra du 28 juin / Du 28 juin 80”, et l’assemblée l’avait repris en choeur.
Bébert c’était Bertrand et Lucien s’appelait Jacques, mais comme Bertrand chantait tout le temps à Jacques la chanson de Piaf “Quelle chance que t’as d’avoir Lucien un bon copain comme moi”, tout le monde avait fini par l’appeler Lucien. C’étaient deux amis d’enfance, les meilleurs amis du monde. Un jour ils se sont brouillés, ne se sont jamais revus, la vie est parsemée de ruptures obscures et d’imprévisibles bifurcations, mais il reste cette journée, joyeuse et pluvieuse, dont on avait dit (pourquoi?) qu’on se souviendrait, et quand tant d’autres, moins lointaines, ont sombré dans l’oubli, celle-ci, trente ans plus tard, en effet on s’en souvient…
C’est gai comme un vieux film des années 30, “La Belle Equipe” de Duvivier par exemple, quand Gabin chantait les promenades au bord de l’eau. C’est triste comme la chanson de Prévert, comme si en
ce 28 juin, dont je me suis surpris moi aussi à fredonner hier ton petit refrain, les feuilles mortes se ramassaient à la pelle…Celles de la jeunesse passée et des amitiés mortes.
Lucien