Nous dejeûnons avec Maman dans sa maison de retraite. A une table voisine, une dame décrépite autant qu’acariâtre pique du nez dans son assiette, et dit, chaque fois qu’elle se redresse : -Je vais crever ! La scène se répète une dizaine de fois. Tout le monde a l’air habitué. Une de ses camarades de tablée finit malgré tout par réagir d’une voix forte : – Oh, arrête de le dire, maintenant, et vas-y !
Peu après, les tables ayant été desservies, et les pensionnaires répartis dans le salon comme des cartes qu’on aurait rebattues, notre protestataire reprend ses « Je vais crever » dans un coin de la pièce. Elle ajoute, en insistant bien sur ces deux syllabes : – J’ai soif ! Son ton est suffisamment pathétique pour que je me lève et lui passe le verre d’eau qu’une aide-soignante avait posé à portée de sa main. Elle me fusille du regard, et lance: – Pas assez fraiche !…
Cette dame rend la fin de sa vie plus désagréable que nécessaire, à mon avis.
Oui mais c’est la fin de sa vie et, apparemment, celle-ci génère chez cette dame une angoisse profonde. Que je peux comprendre. J’espère que nous ne vivrons pas ces mêmes instants de la même façon mais comment savoir par avance ?