Grande fête musicale et dansante

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Lorsque j’ai vu cette image, j’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’une photographie. Elle date de 1884. C’est en réalité la toile d’un peintre naturaliste, qui s’appelait Fernand Pelez. Elle est intitulée “Sans asile, ou Les Expulsés”. On est à l’époque de Zola, mais on pourrait être à n’importe quelle époque : les regards de ceux qui subissent depuis longtemps la misère sont toujours les mêmes : fixes, creux, intenses, muets.

Cinq enfants entourent cette femme épuisée. Quatre dorment. Victor Hugo a croisé les mêmes, quelques années plus tôt : Après avoir donné son aumône au plus jeune / Pensif, il s’arrêta pour les voir. Un long jeûne / Avait maigri leurs joues, avait flétri leurs fronts. Au-dessus d’eux, le mur est vide, blanc, plat, nu, à l’image de ce qu’ils peuvent espérer.

Le cinquième veille, dans un coin. Il est assis, le corps renfrogné, il a froid, il a faim, et derrière lui une affiche déchirée annonce ironiquement une “grande fête musicale et dansante”. On est à l’époque de Zola, mais on pourrait être à n’importe quelle époque : les gens s’amusent, malgré tout, le malheur n’a jamais empêché le monde de tourner. D’ailleurs la langue aussi s’amuse, et cruellement se moque, car la fringale, en vieux français, est une danse, que par dérision et glissement sémantique, on finit par danser devant le buffet.

Sauf que là, pour ces expulsés, ces sans asile, le buffet n’est plus simplement vide : il est absent.

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