Censure

On trouve dans le catalogue de l’exposition consacrée à Pierre Seghers la transcription d’un document étrange : une lettre du Ministère de l’Information de l’Etat français adressée à Pierre Seghers en 1942, alors que ce dernier avait depuis trois ans entrepris de publier une revue de poésie.

Monsieur le Directeur,

La Censure Centrale (Ministère de l’Information) n’a pas été sans remarquer depuis longtemps que des revues à caractère strictement littéraire publient, de temps à autre, des poèmes, des contes, des analyses critiques où, ici et là, on peut trouver des allusions transparentes aux événements politiques actuels.

Ces allusions, pour habiles qu’elles soient, si elles échappent aux censeurs locaux, n’en sont pas moins notées à Vichy.

J’ai toujours eu le souci d’éviter en ce domaine des sanctions administratives analogues à celles prises quelquefois à l’égard des journaux quotidiens ou des grands hebdomadaires. Toutefois, ces clins d’oeil complices au lecteur averti tendant à se multiplier, je me vois dans l’obligation d’en limiter l’abus.

C’est pourquoi je viens de suspendre pour deux mois la revue mensuelle “Confluences” qui, dans son n°12, a publié un poème de M Aragon dont quelques vers relèvent de la tendance que je viens d’évoquer. J’ai pris cette sanction à regret, mais, pour des raisons fort simples à entendre, je l’appliquerai à d’autres revues chaque fois que leurs collaborateurs emploieront la méthode dénoncée.

Je vous serais donc reconnaissant, Monsieur le Directeur, pour m’éviter de frapper les publications que leur nature semble mettre à l’abri d’un contrôle politique, de bien vouloir tenir compte de l’avertissement courtois que je me permets de vous donner.

censure

Ton doucereux, regrets hypocrites, bienveillance factice, urbanité menaçante… On imagine que le haut fonctionnaire qui a rédigé cette lettre en a peaufiné longuement les termes et les tournures, et qu’au moment de la signer, en la relisant, satisfait des qualités de sa plume, il n’a pu s’empêcher de se sentir, sincèrement, content de lui.

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Jacques Langlois

Peut-être ce prosateur inconnu espérait-il être édité plus tard par Seghers? Il n’avait pas compris que celui-ci n’aimait que les vers libres…